MARIE BARBIER, LAURENCE MAURIAUCOURT ET LAURENT MOULOUD
17 mai, dans les rues de Nantes, démonstration de force de la police lors d’une manifestation contre le projet de Loi travail de la ministre Myriam El Khomri.
Depuis plusieurs semaines, le gouvernement joue la carte du pourrissement et de l’affrontement avec les opposants à la loi El Khomri. Une stratégie qui surfe sur le mal-être des policiers et gendarmes tout en étouffant le débat démocratique.
À la fin des années 1970, de violents affrontements opposent aussi CRS, sidérurgistes et autonomes. « Aujourd’hui, comparé à cette époque, il y a peu de casse en marge des manifestations », constate Étienne Penissat, sociologue au CNRS et membre de l’Observatoire de la répression syndicale. Son collègue Fabien Jobard ne disait pas autre chose, hier matin, sur France Inter, lorsqu’il affirmait que « les casseurs ne sont pas si nombreux qu’on le dit et à Paris ils n’ont pas l’air particulièrement équipés ». Et de s’interroger : « Pourquoi la police s’est laissée déborder ? »
Ce qui est nouveau en revanche, d’après les chercheurs, c’est « la stratégie de la tension » utilisée pour « le maintien de l’ordre » aujourd’hui dans les cortèges. « Ce sont désormais les CRS qui ouvrent les manifestations, c’est du jamais-vu en France, s’étonne Étienne Penissat. Auparavant, on était dans du maintien de l’ordre à distance, mais nous assistons à un changement de tactique avec une pression très forte sur les manifestants. Forcément, ça tend très fortement les relations entre manifestants et policiers. » La stratégie des « nasses », qui consiste à encercler des groupes à l’intérieur même des cortèges, est aussi une nouveauté qui remplace celle de la dispersion, autrefois prisée. Un exemple parmi d’autres : le 28 avril dernier, des centaines de manifestants bloquent le port de Gennevilliers. Charges des CRS. 140 arrestations. « Il s’agissait pourtant d’une action traditionnelle comme les agriculteurs en font souvent et qui ne présentent d’habitude aucune difficulté aux forces de l’ordre », relève Étienne Penissat.
Dissuadées, les familles ne sont plus dans les rues
Du côté des services d’ordre syndicaux, on reste surpris et dubitatif face à certains déchaînements de violence. « Personne ne sait qui sont ceux qui viennent pour casser dans les manifestations à Paris, en tous les cas, moi je ne le sais pas. Ce que je sais, c’est que lors de la manifestation du 12 mai, des dizaines de personnes ont en premier lieu pris à partie les personnalités du carré de tête, aux abords du métro Varenne. Le service d’ordre des syndicats a été surpris et s’est retrouvé à faire front face à une réelle violence », relate un militant CGT d’Île-de-France. « Douze blessés parmi les gars du service d’ordre, qui ne sont que des militants qui viennent donner de leur temps pour sécuriser les cortèges », rappelle-t-il. D’autres avancent une version des événements peu reluisante. « Il pourrait potentiellement s’agir de policiers en civil venus en découdre avec la CGT, suite à une affiche qui les a ciblés », lâche un militant. Ce qui pourrait expliquer l’attitude antisyndicale de « pseudo-casseurs violents » le 12 mai. « Le résultat de cette escalade de violence reste que tout le monde apparaît manipulé et que le ras-le-bol s’exprime dans les rangs militants », soupire un troisième syndicaliste.Dans nos colonnes, Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT police, expliquait début mai que « tout est mis en place pour que ça dégénère ». Et de raconter que le 9 avril, des CRS ont reçu l’ordre, par deux fois, de ne pas interpeller des « casseurs dangereux » à la gare du Nord, à Paris, qui se dirigeaient pourtant vers la place de la République pour « perturber Nuit debout ».
« Les médias parlent davantage de la façon dont on manifeste »
Au final, quel est le but de cette « stratégie » de la tension et de la provocation ? « Radicaliser, diviser, affaiblir le mouvement », égrène Étienne Penissat et détourner le regard des questions de fond : « Les médias parlent aujourd’hui davantage de la façon dont on manifeste que ce contre quoi on manifeste. » Sans compter l’effet de dissuasion : les rassemblements ne sont plus vraiment familiaux… « Frapper la foule au hasard, et non plus seulement les meneurs, c’est transmettre un message, nous expliquait déjà Mathieu Rigouste (l’Humanité du 4 mai). Les anonymes seront touchés pour ce qu’ils sont, juste parce qu’ils sont là, parce qu’ils veulent protester. Ils veulent nous instiller la peur d’aller en manifestation. » Une dissuasion également à l’œuvre avec les interdictions préventives de manifester, autre nouveauté d’ordinaire réservée aux hooligans.
Pour le gouvernement, l’image du policier agirait ainsi comme un paravent. « Face à ses faibles capacités de négociation et d’anticipation, soucieux de promouvoir une image d’autorité qu’il a crue renforcée par les attentats, le gouvernement cherche à discréditer un mouvement dont la durée le surprend, en mettant en scène des images de violences, analysait récemment dans nos colonnes le sociologue Christian Mouhanna. Suivant un schéma classique en France, le policier se transforme en protecteur de l’État, quitte à nier certains droits des citoyens. » Et à écorner la démocratie sociale.
17 mai, dans les rues de Nantes, démonstration de force de la police lors d’une manifestation contre le projet de Loi travail de la ministre Myriam El Khomri.
Depuis plusieurs semaines, le gouvernement joue la carte du pourrissement et de l’affrontement avec les opposants à la loi El Khomri. Une stratégie qui surfe sur le mal-être des policiers et gendarmes tout en étouffant le débat démocratique.
À la fin des années 1970, de violents affrontements opposent aussi CRS, sidérurgistes et autonomes. « Aujourd’hui, comparé à cette époque, il y a peu de casse en marge des manifestations », constate Étienne Penissat, sociologue au CNRS et membre de l’Observatoire de la répression syndicale. Son collègue Fabien Jobard ne disait pas autre chose, hier matin, sur France Inter, lorsqu’il affirmait que « les casseurs ne sont pas si nombreux qu’on le dit et à Paris ils n’ont pas l’air particulièrement équipés ». Et de s’interroger : « Pourquoi la police s’est laissée déborder ? »
Ce qui est nouveau en revanche, d’après les chercheurs, c’est « la stratégie de la tension » utilisée pour « le maintien de l’ordre » aujourd’hui dans les cortèges. « Ce sont désormais les CRS qui ouvrent les manifestations, c’est du jamais-vu en France, s’étonne Étienne Penissat. Auparavant, on était dans du maintien de l’ordre à distance, mais nous assistons à un changement de tactique avec une pression très forte sur les manifestants. Forcément, ça tend très fortement les relations entre manifestants et policiers. » La stratégie des « nasses », qui consiste à encercler des groupes à l’intérieur même des cortèges, est aussi une nouveauté qui remplace celle de la dispersion, autrefois prisée. Un exemple parmi d’autres : le 28 avril dernier, des centaines de manifestants bloquent le port de Gennevilliers. Charges des CRS. 140 arrestations. « Il s’agissait pourtant d’une action traditionnelle comme les agriculteurs en font souvent et qui ne présentent d’habitude aucune difficulté aux forces de l’ordre », relève Étienne Penissat.
Dissuadées, les familles ne sont plus dans les rues
Du côté des services d’ordre syndicaux, on reste surpris et dubitatif face à certains déchaînements de violence. « Personne ne sait qui sont ceux qui viennent pour casser dans les manifestations à Paris, en tous les cas, moi je ne le sais pas. Ce que je sais, c’est que lors de la manifestation du 12 mai, des dizaines de personnes ont en premier lieu pris à partie les personnalités du carré de tête, aux abords du métro Varenne. Le service d’ordre des syndicats a été surpris et s’est retrouvé à faire front face à une réelle violence », relate un militant CGT d’Île-de-France. « Douze blessés parmi les gars du service d’ordre, qui ne sont que des militants qui viennent donner de leur temps pour sécuriser les cortèges », rappelle-t-il. D’autres avancent une version des événements peu reluisante. « Il pourrait potentiellement s’agir de policiers en civil venus en découdre avec la CGT, suite à une affiche qui les a ciblés », lâche un militant. Ce qui pourrait expliquer l’attitude antisyndicale de « pseudo-casseurs violents » le 12 mai. « Le résultat de cette escalade de violence reste que tout le monde apparaît manipulé et que le ras-le-bol s’exprime dans les rangs militants », soupire un troisième syndicaliste.Dans nos colonnes, Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT police, expliquait début mai que « tout est mis en place pour que ça dégénère ». Et de raconter que le 9 avril, des CRS ont reçu l’ordre, par deux fois, de ne pas interpeller des « casseurs dangereux » à la gare du Nord, à Paris, qui se dirigeaient pourtant vers la place de la République pour « perturber Nuit debout ».
« Les médias parlent davantage de la façon dont on manifeste »
Au final, quel est le but de cette « stratégie » de la tension et de la provocation ? « Radicaliser, diviser, affaiblir le mouvement », égrène Étienne Penissat et détourner le regard des questions de fond : « Les médias parlent aujourd’hui davantage de la façon dont on manifeste que ce contre quoi on manifeste. » Sans compter l’effet de dissuasion : les rassemblements ne sont plus vraiment familiaux… « Frapper la foule au hasard, et non plus seulement les meneurs, c’est transmettre un message, nous expliquait déjà Mathieu Rigouste (l’Humanité du 4 mai). Les anonymes seront touchés pour ce qu’ils sont, juste parce qu’ils sont là, parce qu’ils veulent protester. Ils veulent nous instiller la peur d’aller en manifestation. » Une dissuasion également à l’œuvre avec les interdictions préventives de manifester, autre nouveauté d’ordinaire réservée aux hooligans.
Pour le gouvernement, l’image du policier agirait ainsi comme un paravent. « Face à ses faibles capacités de négociation et d’anticipation, soucieux de promouvoir une image d’autorité qu’il a crue renforcée par les attentats, le gouvernement cherche à discréditer un mouvement dont la durée le surprend, en mettant en scène des images de violences, analysait récemment dans nos colonnes le sociologue Christian Mouhanna. Suivant un schéma classique en France, le policier se transforme en protecteur de l’État, quitte à nier certains droits des citoyens. » Et à écorner la démocratie sociale.
82 % des français ont une « bonne opinion » des policiers.Une chose est sûre :
la « haine anti-flic » n’a pas gagné les sondages d’opinion. Dans une enquête Odoxa pour le Parisien-Aujourd’hui en France rendue publique hier, 82 % des Français assurent avoir une « bonne opinion » des policiers. Ils sont aussi 56 % à dire que la police leur « inspire spontanément » de « la confiance ». Quant à la « fatigue physique et morale », le « ras-le-bol » que disent ressentir de plus en plus de policiers à cause de l’état d’urgence, ils suscitent la compréhension de 91 % des sondés. Même les violences policières, pourtant nombreuses, semblent largement excusées par la violence d’une poignée de casseurs. 49 % estiment ainsi que l’usage de la force par la police dans les manifestations récentes a été « bien adapté », et seulement 23 % le juge « excessif ».
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