PAR JACQUES SAPIR · 27 JUIN 2015
Alexis Tsipras avait décidé de convoquer un référendum le 5 juillet,
demandant au peuple souverain de trancher dans le différent qui l’oppose aux
créanciers de la Grèce. Il avait pris cette décision devant les menaces, les
pressions, et les ultimatums auxquels il avait été confronté durant les
derniers jours de la négociation avec ce que l’on appelle la
« Troïka », soit la Banque Centrale Européenne, la Commission
Européenne et le Fond Monétaire International. Ce faisant, et dans un geste que
l’on peut qualifier de « gaullien », il avait délibérément renvoyé au
domaine politique une négociation que les partenaires de la « Troïka »
voulaient maintenir dans le domaine technique et comptable. Ce geste à provoqué
une réaction de l’Eurogroupe d’une extrême gravité. Nous sommes en présence
d’un véritable abus de pouvoir qui a été commis ce 27 juin dans l’après-midi,
quand l’Eurogroupe a décidé de tenir une réunion sans la Grèce. Ce
qui se joue désormais n’est plus seulement la question du devenir économique de
la Grèce. C’est la question de l’Union européenne, et de la tyrannie de la
Commission et du Conseil, qui est ouvertement posée.
La déclaration d’Alexis Tsipras
Le texte de la déclaration faite par Alexis Tsipras dans la nuit du 26
au 27 juin sur la télévision d’Etat grecque (ERT), est de ce point de vue
extrêmement clair :
« Après cinq mois de négociations, nos partenaires en sont venus à
nous poser un ultimatum, ce qui contrevient aux principes de l’UE et sape la
relance de la société et de l’économie grecque. Ces propositions violent
absolument les acquis européens. Leur but est l’humiliation de tout un peuple,
et elles manifestent avant tout l’obsession du FMI pour une politique d’extrême
austérité. (…) Notre responsabilité dans l’affirmation de la démocratie et de
la souveraineté nationale est historique en ce jour, et cette responsabilité
nous oblige à répondre à l’ultimatum en nous fondant sur la volonté du peuple
grec. J’ai proposé au conseil des ministres l’organisation d’un référendum, et
cette proposition a été adoptée à l’unanimité »[1].
Ce texte court, empli de gravité et de détermination, entrera
vraisemblablement dans l’Histoire. Ce texte est prononcé par un homme jeune,
qui a été confronté à la mauvaise fois, aux manipulations, à ce qu’il faut bien
appeler toutes les bassesses de la politique, depuis 5 mois. Il dit aussi sa
colère, froide et déterminée. Et c’est peut-être là l’échec principal de
l’Eurogroupe et des institutions européennes : avoir transformé un
partisan de l’Europe en un adversaire résolu des institutions européennes. Tsipras
n’était pas il y a cinq mois de cela un opposant à l’idée européenne. Mais, la
multiplication des humiliations, des tentatives de coup de force, l’ont obligé
à réviser nombre de ses positions, qui pour certaines d’entre-elles relevaient
de l’illusion. Tsipras et Varoufakis sont aujourd’hui sur une trajectoire de
collision avec l’Eurogroupe et l’UE non pas de leur fait, mais de celui des
« institutions européennes ». Ceci est d’une immense importance pour
la suite.
Les leçons de la déclaration de Tsipras
On peut découvrir dans cette courte déclaration trois points
importants.
Le premier est que le désaccord entre le gouvernement grec et ses
partenaires a été d’emblée politique. La BCE et la Commission Européenne n’ont
eu de cesse que de rechercher une capitulation du gouvernement grec, ce que
Tsipras appelle «l’humiliation de tout un peuple ». Ce qu’a cherché
l’Union européenne, par le biais de l’Eurogroupe, c’est à cautériser le
précédent ouvert par l’élection de janvier 2015 en Grèce. Il s’agit de faire la
démonstration non seulement en Grèce, mais ce qui est en fait bien plus
important en Espagne, en Italie et en France, qu’on ne peut « sortir du
cadre de l’austérité » tel qu’il a été organisé par les traités. Il faut
ici se souvenir de la déclaration de Jean-Claude Juncker pour qui il ne peut y
avoir de choix démocratique allant contre les traités.
Le deuxième point important de cette déclaration est que, pour la
première fois un dirigeant légalement élu et en fonction déclare que les
institutions européennes font des propositions qui, dans leur fond comme dans
leur forme «violent absolument les acquis européens ». C’est une
accusation très grave. Elle revient à dire que les institutions
européennes qui sont censées être des garants de la démocratie agissent au
contraire de celle-ci. Elle revient aussi à dire que ces mêmes institutions,
dont la légitimité n’existe que par délégation de la légitimité des
Etats membres ont des comportements qui violent la légitimité et la
souveraineté de l’un des dits Etats membres. Cela revient donc à dire que les
institutions de l’Union européennes se sont constituées en Tyrannus ab
exercitiosoit en un pouvoir qui, quoi qu’issu de procédures légitimes, se
conduit néanmoins en Tyran. Cela revient à contester radicalement toute
légitimité aux instances de l’Union européenne.
Le troisième point se déduit des deux premiers. Il est contenu dans la
partie du texte qui dit : «Notre responsabilité dans l’affirmation de la
démocratie et de la souveraineté nationale est historique en ce jour, et cette
responsabilité nous oblige à répondre à l’ultimatum en nous fondant sur la
volonté du peuple grec ». Il place désormais les enjeux non plus au niveau
de la dette mais à celui des principes, de la démocratie comme de la
souveraineté nationale. Et c’est en cela que l’on peut parler d’un véritable
« moment gaullien » chez Alexis Tsipras. Si l’on veut pousser
l’analogie historique jusqu’à son terme, alors que Paul Raynaud en 1940 ne
soumet pas au Conseil des Ministres la question de faut-il continuer la guerre,
Alexis Tsipras a osé poser la question de l’austérité et du référendum, et a
reçu un soutien unanime, y compris des membres de l’ANEL, le petit parti
souverainiste allié à SYRIZA. Il s’est ainsi réellement hissé à la stature d’un
dirigeant historique de son pays.
La réaction de l’Eurogroupe, qui avait qualifié de nouvelle
« triste » (sad) ce référendum[2], confirme bien les options antidémocratiques
qui ont cours aujourd’hui au sein de l’Union européenne. Mais, cette réaction a
elle-même était dépassée par une décision d’une importance réellement
dramatique.
Le coup de force de l’Eurogroupe et la Tyrannie européenne
La réaction de l’Eurogroupe, qui se réunissait ce samedi à Bruxelles, a
en effet consisté en un acte qui conjugue l’illégalité la plus criante avec la
volonté d’imposer ses vues à un Etat souverain. En décidant de tenir une
réunion en l’absence d’un représentant de l’Etat grec l’Eurogroupe
vient de décider d’exclure de fait la Grèce de l’Euro. Ceci constitue
à l’évidence un abus de pouvoir. Et il faut ici rappeler plusieurs points qui
ne sont pas sans conséquences tant juridiquement que politiquement.
Aucune procédure permettant d’exclure un pays de l’Union Economique et
Monétaire (non réel de la « zone Euro ») n’existe actuellement. S’il
peut y avoir une séparation, elle ne peut avoir lieu que d’un commun accord et
à l’amiable.
L’Eurogroupe n’a pas d’existence légale. Ce n’est qu’un
« club » qui opère sous couvert de la Commission Européenne et du
Conseil européen. Cela signifie que si l’Eurogroupe a commis un acte illégal –
et il semble bien qu’il en soit ainsi – la responsabilité en incombe à ces deux
institutions. Le gouvernement grec serait donc fondé d’attaquer la
Commission et le Conseil à la fois devant la Cour Européenne de Justice mais
aussi devant la Cour Internationale siégeant à La Haye. En effet, l’Union
européenne est à la base une organisation internationale. On le constate par
exemple dans le statut, et les exemptions fiscales, des fonctionnaires
européens. Or, la règle dans toute organisation internationale est celle de
l’unanimité. Le traité de Lisbonne a bien prévu des mécanismes de majorité
qualifiée, mais ces mécanismes ne s’appliquent pas à l’Euro ni aux questions
des relations fondamentales entre les Etats.
Le coup de force, car il faut l’appeler par son nom, que vient de faire
l’Eurogroupe ne concerne pas seulement la Grèce. D’autres pays membres de
l’Union européenne, et l’on pense au Royaume-Uni ou à l’Autriche, pourraient
eux-aussi attaquer devant la justice tant européenne qu’internationale la
décision de fait prise par l’Eurogroupe. En effet, l’Union européenne
repose sur des règles de droit qui s’appliquent à tous. Toute décision de
violer ces règles contre un pays particulier constitue une menace pour
l’ensemble des membres de l’Union européenne.
Il faut donc ici être clair. La décision prise par l’Eurogroupe
pourrait bien signifier, à terme, la mort de l’Union européenne. Soit les
dirigeants européens, mesurant l’abus de pouvoir qui vient d’être commis, se
décident à l’annuler soit, s’ils persévèrent dans cette direction ils doivent
s’attendre à une insurrection des peuples mais aussi des gouvernants de
certains Etats contre l’Union européenne. On voit ainsi mal comment des Etats
qui ont juste recouvré leur souveraineté, comme la Hongrie, la République
Tchèque ou la Slovaquie, vont accepter de telles pratiques.
Il est alors symptomatique que la crise induite par un pays ne
représentant pas plus de 2% du PIB de l’UE ait pris cette tournure. En fait,
cela révèle au grand jour la nature fondamentalement antidémocratique des
institutions de l’UE et le fait que cette dernière soit en train de se
constituer en Tyrannie.
Le spectre de la démocratie dans les couloirs de Bruxelles
On ne peut, et on ne doit, préjuger du résultat de ce référendum. Il
est même possible que, devenu sans objet, il ne se tienne pas. Mais on doit
souligner qu’il représente le retour de la démocratie dans un espace européen
dont elle était absente. De ce point de vue, l’initiative prise par Alexis
Tsipras représentait la dernière chance d’introduire de la démocratie dans le
système européen.
Il est aussi probable que les partis d’opposition, que ce soit Nouvelle
Démocratie ainsi que le Parti de centre-gauche La Rivière (To Potami)
protestent et cherchent à empêcher par divers recours légaux ce référendum
d’avoir lieu. On ne peut plus exclure le fait que ces partis, avec l’aide des
nervis fascistes d’Aube Dorée, ne tentent de déstabiliser le gouvernement grec.
Ces réactions sont exemplaires des comportements antidémocratiques qui
s’épanouissent aujourd’hui en Europe. Ils apportent de l’eau au moulin d’Alexis
Tsipras. On sent comment les acteurs européistes de ce drame sont aujourd’hui
terrorisés par le spectre de la démocratie.
En France même, on ressent très distinctement le malaise que provoque
l’initiative d’Alexis Tsipras. Que ce soit au Parti Socialistes ou chez les
« Républicains », on ne peut ouvertement s’opposer à une telle
décision sans contredire immédiatement et brutalement tous les discours qui ont
été tenu sur la démocratie. Mais, en réalité, le référendum grec fait planer le
spectre d’un autre référendum, celui de 2005 sur le projet de traité
constitutionnel en Europe. La manière dont la classe politique française, dans
sa large majorité, de Nicolas Sarkozy à François Hollande, de l’UMP au PS,
avait été désavouée par la victoire du « Non », mais avait fait
passer en contrebande à peu de choses près le même texte lors du Traité de
Lisbonne qui fut ratifié par le Congrès à Versailles, est l’un des épisodes les
plus honteux et les plus infamants de la vie politique française. Les acteurs
de cette tragique mascarade sont toujours parmi nous. Il y a une continuité de
projet, si ce n’est une continuité d’action, entre la décision de ne pas
respecter un vote, celui des électeurs français mais aussi néerlandais, et le
coup de force inouï de l’exclusion de la Grèce de l’Eurogroupe.
Tsipras ne doit ainsi pas s’attendre à un quelconque soutien de la part
de François Hollande, renvoyé sans ménagement à sa propre médiocrité et à ses
basses compromissions, ni de celle d’Angela Merkel dont la politique est la
véritable cause de cette crise. Mais il peut s’attendre au soutien de tous ceux
qui, en Europe, se battent pour la démocratie et la souveraineté.
[1] Traduction de Vassiliki Papadaki, sur
le site de SYRIZA-France, http://syriza-fr.org/2015/06/27/allocution-du-premier-ministre-a-tsipras-au-peuple-grec-la-choix-au-peuple-souverain-referendum/
[2] Déclaration du Président de
l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, samedi 27 juin, http://www.france24.com/en/20150627-eurogroup-says-sad-greece-referendum-closes-door-talks?ns_campaign=reseaux_sociaux&ns_source=twitter&ns_mchannel=social&ns_linkname=editorial&aef_campaign_ref=partage_aef&aef_campaign_date=2015-06-27&dlvrit=66745
j'aimerais bien connaitre l'analyse de Michel Rocard
RépondreSupprimerla crise actuelle devrait conduire à une modification du traité qui cristallise l'orientation économique de l'UE dans les erreurs et injustices du néoliberalisme...Nous devons se référer aux principes du cadre référentiel commun de l'UE solidarité, égale dignité morale entre pays, respect de l'autonomie démocratique des pays membres...La Grèce devrait être respectée et rester au sein de la zone euro de l'UE...L'Europe c'est notre maison à tous...
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