jeudi 11 juin 2015

CLIMAT | Hervé Le Treut : « Un bouleversement sans précédent dans l’histoire de l’humanité »

ENTRETIEN PAR YANN VERDO / JOURNALISTE | 05/06 |

Hervé Le Treut Climatologue, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace, professeur à l'UPMC, membre de l’Académie des sciences

Début mai, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) a annoncé que la teneur mondiale de l’atmosphère en CO2 avait pour la première fois dépassé les 400 parties par million (ppm). Que vous inspire cet inquiétant record ?
Pendant les 10.000 ans qui ont suivi la dernière déglaciation, la teneur en CO2 s’est maintenue dans une bande très étroite, entre 270 et 290 ppm. Et puis, de façon extrêmement récente – en gros, depuis les années 1950 –, on a vu cette valeur subitement grimper en flèche, jusqu’à franchir le seuil de 400 ppm aujourd’hui. C’est un bouleversement sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Et qui, même si nous réduisons drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, se fera longtemps sentir. Sur la totalité du CO2 lâché dans l’atmosphère du fait des activités humaines, un quart est neutralisé par les océans, un quart par la végétation ; mais la moitié restante s’accumule inexorablement et durablement dans l’atmosphère.

Sur quoi ont principalement porté les travaux scientifiques des climatologues ces cinq dernières années, en amont du 5e rapport du Giec ?

Je distinguerai trois chantiers majeurs sur lesquels nous avons beaucoup progressé au cours des cinq années qui ont séparé le 4e rapport du Giec du 5e. Le premier est celui d’une meilleure estimation de l’amplitude du réchauffement à venir. Les données satellite ont permis de lever un certain nombre d’incertitudes sur le rôle des nuages, qui est double : d’un côté, ils réfléchissent une partie du rayonnement solaire, ce qui tend à refroidir la Terre (c’est l’effet parasol) ; de l’autre, ils bloquent le rayonnement infrarouge réfléchi par la Terre, ce qui tend à la réchauffer (c’est l’effet de serre). Il est très difficile de dire comment l’équilibre né de ces deux effets ­contradictoires évoluera, mais les données multi-instruments transmises par les satellites nous aident à y voir plus clair. Un autre progrès majeur a été l’interdisciplinarité : nous nous sommes davantage efforcés à étudier le climat en lien avec la végétation, la biodiversité, etc. Enfin, le troisième chantier que je citerai est celui du passage du global au local, de la prévision d’ordre général au risque ponctuel.

Si rien n’est fait pour réduire les émissions et que le réchauffement atteint 4 voire 5 °C d’ici à la fin du siècle, quelles en seront les conséquences majeures ?

Je placerai en tête de liste les atteintes à la biodiversité, déjà mise à mal par d’autres phénomènes que le réchauffement climatique (la surpêche, l’agriculture intensive, la déforestation…). L’homme, comme tous les animaux, dépend de cette biodiversité qui l’entoure pour subsister. Une deuxième conséquence sera l’aggravation des inégalités, parce que toutes les régions du monde ne sont pas logées à la même enseigne face au réchauffement climatique. Il est clair que les régions intertropicales, qui dépendent pour leurs apports en eau d’une unique saison des pluies, sont plus fragiles que les autres. Il en va de même des milieux littoraux, du fait de la montée du niveau des mers. Ou des zones de montagne : l’étagement des différentes espèces de faune et de flore en altitude dépend étroitement de la température, qui baisse en moyenne de 6,5 °C par kilomètre. Si le réchauffement atteint 5 °C, ce sont toutes les espèces qui devront remonter de près de 1 kilomètre, avec des conséquences incalculables sur l’écosystème de la zone. 

À noter

Une conférence scientifique internationale sur le changement climatique se tiendra à Paris, à l’Unesco et sur le campus de Jussieu de l’UPMC, du 7 au 10 juillet prochain, sous la présidence d’Hervé Le Treut.

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