Par Benoit Delrue. 2 juin 2015
"La prochaine crise est inévitable."
"La prochaine crise est inévitable."
Dans son dernier rapport sur la stabilité financière, le Fonds
monétaire international sonne l’alarme. Son propos, sur la retenue comme
d’ordinaire, n’est pas aussi explicite que le nôtre. LE BILAN ajoute, aux
aspects conjoncturels relevés par le FMI, une analyse structurelle du système
financier.
C’est un événement planétaire. Le Fonds monétaire international (FMI),
organisme basé à Washington né des accords de Bretton Woods en 1944, qui a
largement contribué à bâtir le système financier actuel, tire la sonnette
d’alarme. Généralement rassurante, l’institution sort de ses habitudes pour
mettre le doigt sur ce qui « accentue les tensions » dans l’économie
mondiale. Bien sûr, le discours tenu par le FMI reste sobre et évite
soigneusement les formules catégoriques et trop explicites. Néanmoins, après
avoir déjà consacré son avant-dernier [1] rapport
régulier – biannuel ou trimestriel – sur la stabilité financière aux
« risques » encourus par les acteurs publics et privés de la finance
internationale, l’édition d’avril 2015 du document franchit une marche
supplémentaire [2].
La prochaine crise est inévitable. Pour le prouver, nous nous
intéresserons de près aux signaux négatifs dont le FMI fait état, reposant
comme à l’accoutumée sur une étude empirique des conjonctures. Dans un second
temps, nous lierons à ces facteurs circonstanciels un examen structurel du
système financier contemporain. Ce dernier, par une analyse plus profonde, sera
révélé pour ce qu’il est – un géant aux pieds d’argile, sans cesse grandissant
pour nourrir en milliards la caste des ultra-riches.
Le printemps des crises
Le FMI fait état d’une conjoncture qui, mois après mois, « intensifie
les risques » de survenue d’une nouvelle crise financière. Certains
éléments, salués en France par les dirigeants politiques et les économistes de
cabinet comme très favorables pour l’économie nationale, sont profondément
déstabilisateurs pour le système international. Autrement dit, les causes d’une
croissance française « élevée », à 0,6% au premier trimestre selon
les estimations bienveillantes de l’Insee, mettent en danger des acteurs
économiques de premier rang – donc l’équilibre financier planétaire.
Taux d’intérêt records en France et en Allemagne
Le 1er juin 2015, les taux d’intérêt auquel la France emprunte sur les
marchés ont atteint un nouveau record [3].
A dix ans, les obligations ont atteint le seuil de 0,8080% ; pour les
maturités les plus courtes, les taux sont même négatifs depuis des mois, et ont
même franchi, ce jour, la barre du -1% pour les échéances de trois ans. Une
bonne nouvelle, à priori : enfin, l’Etat semble sortir des milliards
d’euros d’intérêts réglés chaque année à ses créanciers. Sur LE BILAN, nous
avons d’ailleurs insisté sur l’arnaque géante que représente la dette publique pour les travailleurs
français. Mais du point de vue de l’équilibre des marchés, c’est une toute
autre histoire.
En réalité, la ruée vers les dettes allemandes et françaises met à mal
la rentabilité du secteur de l’assurance. L’outre-Rhin emprunte également à des
taux très bas, pour une raison simple : comme les obligations françaises,
les allemandes représentent le risque le plus faible du marché. Les compagnies
d’assurance misent des quantités astronomiques de capitaux, souvent dans des
placements périlleux. La probabilité de voir s’effondrer ces investissements,
lucratifs mais dangereux, oblige les entreprises à placer certains œufs dans
des paniers plus sûrs. Les emprunts des Etats ont toujours représenté une
solidité, une garantie de remboursement quoiqu’il advienne. Mais dans la zone
euro, certains pays ont inspiré davantage de craintes que de confiance :
la Grèce, l’Italie, le Portugal ont subi, ces dernières années, des phénomènes
de désinvestissement massif en raison des inquiétudes de restructuration de
leurs dettes publiques ; et par le jeu du marché, leurs taux se sont alors
relevé subitement, entraînant parfois de graves conséquences.
A contrario, face à l’instabilité des Etats du sud, les premières
puissances de l’Union européenne ont incarné dans l’esprit des financiers une
certaine intangibilité. Les dettes françaises et allemandes, malgré la santé
relativement mauvaise de l’économie hexagonale, sont devenues les valeurs-refuge
par excellence. Mais y investir a représenté un coût toujours plus
important : désormais, ce sont les créanciers qui payent ces gros Etats
pour pouvoir placer leurs capitaux entre leurs mains, d’où les taux négatifs.
La loi du marché, théâtre d’un rapport de force permanent entre l’offre et la
demande donne parfois des situations comme celles-ci ; et plus les
investisseurs sont nombreux à acquérir des obligations françaises et
allemandes, plus les taux d’intérêt continueront à baisser.
L’observateur non-averti pourrait croire que chacun trouve son compte
dans ce mécanisme. Il sous-estimerait lourdement les pratiques hasardeuses,
voire fâcheuses, des compagnies concernées. Axa, Predica, et Allianz vendent
des contrats d’assurance en garantissant des taux de rémunération
supérieurs ; elles promettent un rendement élevé aux particuliers, qui
contractent des assurances-vie, des retraites par capitalisation ou placent
leur épargne sur des investissements présentés comme profitables. Mais les
difficultés du marché à restaurer la confiance, et les taux toujours plus bas
des placements obligataires, creusent toujours plus l’écart avec les revenus
prédits, dont les assurances jurent de se faire les garantes. En bout de
course, les compagnies se rapprochent toujours plus du précipice, et leur chute
pourrait être extrêmement sévère.
Au printemps déjà, le FMI mettait sérieusement en garde contre le
phénomène de tension qui s’opère sur ce marché. Dans son rapport sur la
stabilité économique mondiale, publié en avril, l’institution souligne que
« la persistance des faibles taux d’intérêt mettra à rude épreuve un grand
nombre d’établissements financiers ». Après avoir atteint, peu après la
publication du rapport, le record absolu de 0,3%, puis être revenus à plus de
1% début mai, les intérêts des obligations sur dix ans replongent à nouveau.
Or, le Fonds allait encore plus loin : « les tests de résistance
réalisés par l’Autorité européenne des assurances et des pensions
professionnelles font apparaître que 24% des assureurs risquent de ne pas
pouvoir tenir leurs exigences de solvabilité, dans un scénario de persistance
de faibles taux d’intérêt ». Autrement dit, dans ce « scénario »
qui est de loin le plus probable de tous, un quart des compagnies se
retrouveraient, ni plus ni moins, en incapacité de régler les prestations à
leurs assurés – qu’il s’agisse de complémentaires retraites ou de tout autre
contrat. L’ensemble du secteur de l’assurance, qui détient les capitalisations
les plus élevées de la planète, se retrouverait bientôt plongé dans une crise
aux conséquences faramineuses, et dont personne ne sait aujourd’hui s’il sera
possible d’en sortir.
Le pétrole et la guerre
Outre la crise des assurances, qui menace de frapper de plein fouet la
zone euro, la situation internationale n’est pas au beau fixe. Un autre
facteur, présenté en France comme bénéfique pour notre économie, est au cœur
des préoccupations : la chute drastique du prix du pétrole. Le baril de
Brent, après avoir atteint son plus haut historique à près de 140 dollars en
juin 2008, avait largement pâti de la crise financière en tombant sous la barre
des 40 dollars six mois plus tard. Mais son cours s’était immédiatement repris,
revenant à 70 dollars en mai 2009, et oscillant autour des 100 dollars pendant
près de cinq ans.
Voici exactement un an, le baril était à plus de 110 dollars : il
entama, alors, sa baisse la plus longue jamais observée. Jusqu’en janvier 2015,
pas un jour n’est passé sans que le prix du pétrole finisse par baisser ;
après une timide reprise en mars, son cours stagne depuis deux mois et les
observateurs craignent une nouvelle chute, vers les abysses cette fois. Au
passage, si le Brent est le plus représentatif avec près de deux-tiers des
échanges mondiaux, il est important de souligner que le baril de pétrole
américain suit exactement la même courbe, avec la même baisse historique durant
six mois [4].
Bien sûr, les Français ont vu ce phénomène comme une bonne affaire : notre
pays, très consommateur d’essence et dénué de toutes ressources, a vu ces
événements comme un soulagement. Le mauvais présage de feu Christophe de
Margerie, patron de Total jusqu’à son décès en octobre dernier, qui prévoyait
pour les prochains mois un prix à la pompe de 2 euros pour le sans plomb, était
écarté. Mais là encore, les conséquences d’un processus excessifs seront
lourdes.
Les pays exportateurs de pétrole, qu’il s’agisse des monarchies du
Golfe ou des pays d’Amérique Latine, dont le Venezuela de notre camarade
Nicolas Maduro, se retrouvent en grave difficulté financière. Le cercle vicieux
est en œuvre depuis maintenant un an : la baisse du baril entraîne
logiquement des profits moins élevés pour les Etats producteurs ; leurs
dettes publiques et leurs devises deviennent des placements moins avantageux,
voire plus dangereux, ce qui provoque le départ de nombreux financiers ;
ces pays se trouvent pris dans un certain étau, entre moins de profits et moins
d’investissements. Les entreprises qui y ont encore leurs placements, pour
beaucoup européennes et américaines, font face à des risques toujours plus
élevés pour leurs trésoreries. Plus globalement, la sortie accélérée des
capitaux en devises monétaires concernées entraîne un cercle vicieux, qui
déstabilise complètement le marché international des changes.
Ce dernier vacille d’autant plus qu’un autre facteur vient perturber
l’équilibre financier du capitalisme planétaire, et non des moindres : les
guerres. Les années 2010 voient une très forte recrudescence des hostilités
armées, dont la présentation par nos « grands » médias comme de
simples guerres civiles cache mal l’ampleur de leurs répercussions. Tout
particulièrement, les guerres libyenne et syrienne, largement encouragées par
l’OTAN qui a financé et armé les prétendus « rebelles »,
déstabilisent des régions entières, voire des continents. Le Maghreb et le
Moyen-Orient pâtissent sévèrement, d’un point de vue financier, de la montée en
puissance des groupes djihadistes. La Libye et la Syrie étaient des modèles
économiques, tant en point de vue de leur produit intérieur que de la
distribution des revenus au sein de leurs populations. Cette relative
prospérité a poussé leurs voisins à lier des capitaux aux leurs, tant elles
représentaient une stabilité prometteuse. Les événements meurtriers, qualifiés
de « printemps arabe » alors qu’ils étaient pour l’essentiel
provoqués par des milices de mercenaires, ont profondément rebattu les cartes
dans les régions.
Les puissances occidentales, Union européenne et Etats-Unis en tête,
minimisent largement l’aspect économique de ces guerres ; d’une part,
parce qu’elles les ont délibérément déclenchées, d’autre part, parce que des
pays comme les USA ou la France placent leurs pions sur l’échiquier économique.
En Libye, par exemple, Total s’est rué sur les exploitations pétrolières,
faisant peu de cas de la population locale et de son devenir. En Syrie, le pari
fait par la France est d’abord et avant tout la chute du régime d’El Assad,
encore aujourd’hui malgré l’horreur incarnée par Daech. De solides, la Syrie et
la Libye sont désormais vouées à s’écrouler dans le ventre mou du tiers-monde.
Mais d’autres entreprises occidentales ou internationales avaient misé gros sur
les économies syrienne et libyenne ; nombre d’entre elles ont procédé au
retrait d’une quantité importante de capitaux. Et ce phénomène a, lui aussi,
bouleverse le marché des devises.
La dépréciation rapide des taux de change accentue les tensions qui
pèsent sur les entreprises fortement endettées en devises [des Etats
producteurs de pétrole ou en guerre] et cela a provoqué de fortes sorties
de capitaux des pays émergents », constate le Fonds monétaire
international. Ce dernier souligne la gravité financière des événements actuels
: « l’augmentation de la volatilité des principaux taux de change a été la
plus forte depuis la crise financière mondiale. La diminution des liquidités
sur les marchés des changes et les marchés obligataires, de même que
l’évolution de la composition des investisseurs, ont accentué les frictions
dans les ajustements de portefeuille ». Les « frictions » dans
les « ajustements » sont des euphémismes : même s’ils jurent ne
jamais céder à la panique, l’assombrissement des perspectives internationales
donne aux investisseurs des sueurs froides.
Faillites bancaires en pagaille
Petit à petit, les conditions d’un krach se réunissent. Aux éléments
observés par le Fonds monétaire, d’autres phénomènes sont à étudier de près.
La situation des marchés financiers, en particulier en Europe, donne à
elle seule un signal extrêmement pessimiste pour l’avenir immédiat.
C’est d’abord une banque autrichienne qui a provoqué en Europe centrale
des remous démesurés. Depuis la crise de 2008, Hypo Alpe Adria (HAA) est
incapable de sortir la tête de l’eau, empêtrée dans toutes sortes de placements
toxiques. En grave difficulté depuis 2014, ses problèmes viennent pour
l’essentiel de sa filiale Heta, spécialisée dans les investissements à risque.
Pour maintenir ses activités, HAA se voyait régulièrement aidée par les fonds
publics : entre 2008 et 2015, ce sont 5,5 milliards d’euros qui ont été
versés, sans contrepartie ni remboursement, par l’Etat autrichien à la banque.
Face à la colère des contribuables, et à l’impasse de la situation, l’Autriche
a pris une décision le 1er mars dernier : ne plus donner un euro à
Heta, dont les actifs ne représentaient plus alors que 280 millions d’euros.
Mais cette structure était organiquement liée à de nombreux acteurs financiers,
en Europe de l’Est et également en Allemagne.
C’est notamment la Düsseldorf Hypotherkenbank, basée dans la capitale
de Westphalie, qui a pâti le plus immédiatement de la faillite annoncée de
Heta. Banque modeste et entièrement liée à HAA, Düsselhyp représente néanmoins
une première étape d’un « effet boule de neige considérable » [5],
concède le quotidien libéral en ligne la Tribune : « avec un impact
initial de 280 millions, on met en péril un bilan de 11 milliards, et un marché
de quelque 400 milliards d’euros ». Pour éviter la contagion,
l’Association allemande des banques privées (BdB) a immédiatement pris le
contrôle de la Düsselhyp ; mais cette dernière n’est pas la seule
concernée par la faillite de la filiale de la HAA, loin s’en faut. La bavaroise
BayernLB et Dexia Kommunalbank sont exposées à hauteur de plusieurs milliards.
Si les flammes apparentes ont été étouffées, le brasier pouvant provoquer une
crise bancaire en Europe centrale reste intact.
Parallèlement, un pays bien plus petit mais plus proche de nous était
ébranlé par une crise de premier ordre : Andorre. La principauté, dont le
président de la République française est également le chef d’Etat, a fait face
à une déstabilisation jamais vue. La Banque privée d’Andorre (Banca Privada
d’Andorra, BPA) s’est retrouvée sous la coupe d’une enquête américaine, ouverte
le 10 mars par la FinCEN, organisme attaché au Trésor chargé de lutter contre
le crime financier. En cause, la BPA avait blanchi l’argent de mafias
chinoises, russes et vénézuéliennes, selon les autorités américaines. L’aspect
géopolitique dans l’affaire est important, tant les trois pays cités
constituent des adversaires de premier plan pour l’impérialisme états-unien ;
du point de vue économique, qui nous intéresse ici, l’affaire a provoqué un
déficit de confiance sans précédent pour les plus de 7 milliards d’actifs de la
BPA. Le petit Etat a pris le contrôle de la banque, fait inédit dans son
histoire ; mais, comme le rappelle la Tribune [6],
Andorre n’a « pas de filets de sécurité ». N’étant pas membre de la
zone euro, la Banque centrale de Francfort ne le renflouerait pas en cas de
faillite ; or, les actifs de la BPA sont deux fois supérieurs au produit
intérieur brut de la principauté. Si elle venait à déposer le bilan, elle
entraînerait dans sa chute bien d’autres institutions, à commencer par les
banques espagnoles avec lesquelles elle entretient des partenariats financiers
privilégiés.
Pendant ce temps, les tensions grandissantes entre Europe et Russie ont
coûté au grand pays une grave crise bancaire, qui n’a pas fini de le secouer.
De nombreux établissements ont fait faillite au printemps, passant les uns
après les autres sous la tutelle par la Deposit Insurance Agency (DIA),
l’organisme public chargé de reprendre les banques déposant le bilan. En mars,
l’équivalent de 18 milliards d’euros manquait aux banques pour assurer leurs
financements, rendant dès lors insuffisant le plan de recapitalisation de 13
milliards mis en place par l’Etat. « Un quart des banques russes sont au
bord de l’asphyxie », annonçaient alors Les Echos [7].
Pour éviter de se retrouver, elle-même, en difficulté, la géante Sberbank se
refusait alors à toute aide vis-à-vis de ses concurrents. Malgré son
intransigeance apparente, elle a accusé de lourdes difficultés au premier
trimestre, avec une division par deux de ses bénéfices sur un an selon les
résultats annoncés la semaine dernière [8].
Le premier facteur de ces résultats est intrinsèque au système bancaire, avec
notamment une diminution de 16% des revenus nets tirés par la banque des
intérêts des crédits.
Enfin, après l’Allemagne et Andorre, c’est un autre voisin de la France
qui semble proche de la tempête depuis ce printemps : l’Italie. Le cabinet
PricewaterhouseCoopers (PwC) a dévoilé, le 25 mars, un rapport qui a mis le feu
aux poudres dans le microcosme de l’investissement financier. L’entreprise
américaine d’audit et conseil, reprise par le magazine Challenges au mois
d’avril [9],
souligne « l’inflation galopante des crédits à risques des banques
italiennes ». « Les prêts douteux augmentent sans cesse », souligne
Jacques Sapir : « ils sont proches de 15 à 20% là où ils
devraient être à 5% ». Du propre aveu de la Banque d’Italie, ces « prêts
non performants » ont atteint 185 milliards d’euros en janvier, et
continueront à augmenter en 2015 d’après PwC. Le système bancaire de notre voisin
latin ne trouve plus grâce aux yeux des cabinets de conseil, comme Alpha Value,
qui insiste sur le « fonctionnement coûteux » d’un « système
éclaté », où « le niveau de fonds propres des banques est très bas ».
La réaction est sans appel : les capitaux fuient désormais le pays. Après
trois ans et demi de baisse, les taux d’intérêts des obligations italiennes
remontent depuis trois mois [10],
créant pour la finance nationale des tensions accrues. Challenges rappelle que
« cette faiblesse a été mise en lumière par les tests de résistance de la
BCE, en octobre, puisque neuf banques italiennes sur les quinze soumises à
l’exercice ont échoué » aux « stress tests » de la Banque
centrale. L’hebdomadaire économique, chantre du capitalisme, se fait
franchement pessimiste sur l’avenir proche de la péninsule, reprenant en
chapeau les propos de Sapir : « on peut s’attendre à une crise
bancaire italienne majeure cet été ».
Le retour des subprimes
Comme le veut la logique du marché, l’incertitude règne sur la suite
des événements. Nous ne nous ferons pas oiseau de mauvais augure : il est
impossible d’affirmer si la prochaine crise surviendra effectivement cet été.
Néanmoins, le système financier est de plus en plus sous pression et les
signaux négatifs ne manquent pas. Les faillites bancaires européennes,
survenues pour des raisons diverses, restent jusqu’à présent des phénomènes
isolés – mais, ajoutés aux processus globaux analysés par le FMI, créent les
conditions d’une nouvelle crise.
Les « grands » médias se gardent bien d’aborder frontalement
la question, trop attachés à défendre le système capitaliste, en glorifiant par
exemple le 0,6% de croissance française. S’il est effectivement absurde de
chercher à prédire la date du prochain krach, analyser en profondeur la
situation des banques est par contre possible, utile et nécessaire. Il apparaît
alors clairement que la prochaine crise aura bien lieu ; et qu’elle aura
un retentissement, dans le monde et en France, sans doute plus puissant encore
que celle de l’automne 2008. Pour comprendre le dernier krach, comme celui à
venir, étudier la question des subprimes est éclairant. Loin d’être d’un autre
âge, elle en dit long sur le système financier contemporain.
Le tas d’or
A l’origine se trouve un système bancaire entièrement basé sur le
crédit, dont les Etats-Unis sont le fer de lance. Au pays du « rêve
américain », les revenus des travailleurs ont été comprimés pendant plus
d’un demi-siècle ; à mesure que les profits des plus riches grimpaient en
flèche, grâce aux hausses de production et aux gains de productivité, les
salaires proportionnels n’ont fait que baisser. Pour soutenir artificiellement
la consommation des ménages, les banques ont donc développé un outil
formidable : les crédits à la consommation. Emprunter de l’argent est
devenu toujours plus facile : pour acheter une maison ou une voiture, bien
sûr, mais aussi un lave-linge, un aspirateur, et enfin pour payer ses
baguettes. Les cartes de crédits, qui sont devenues la norme, permettent de
régler ses achats du quotidien non plus avec l’argent présent effectivement sur
le compte bancaire, mais avec de l’argent prêté par la banque que le
consommateur devra rembourser les mois suivants. Comme chaque prêt, il comporte
des taux d’intérêts élevés ; et avec un pouvoir d’achat artificiellement
augmenté, les Américains se sont en fait retrouvés de plus en plus dans l’étau
des banques.
Aux Etats-Unis, le phénomène de surendettement atteint des niveaux
inimaginables en Europe ; des millions de foyers sont concernés. Dans un
ersatz de régulation du système se sont développées les agences de
notation : chaque créditeur, chaque individu qui emprunte de l’argent, se
voit attribuer une note sur 1.000, allant de la solidité financière incarnée
(1.000) à l’insolvabilité la plus totale (0). Ce système, le « FICO score »,
introduit en 1989 par la société de logiciels informatiques éponyme, s’est
institutionnalisé et il n’est plus une compagnie de crédits qui ne le prend en
compte. Dès la fin des années 1990 s’est formée une nouvelle catégorie de la
population, les « mauvais payeurs », accumulant les dettes et les
retards sur leurs remboursements : les subprimes. Fixé historiquement
à 640, puis variable [11],
il est un niveau du FICO scoreen-dessous duquel les ménages ne peuvent
plus contracter de nouveau prêt, sauf à accepter des conditions particulières.
A partir de 2001, le nombre d’individus catégorisés subprimes n’a
cessé de croître.
Dans un processus décortiqué avec talent par Michael Moore dans son
film Capitalism : A love story [12],
les banques ont mis en place au début des années 2000 un système pernicieux.
Les familles surendettées se sont vues proposer de prendre un crédit sur
l’hypothèque de leur logement : en pleine ascension des prix de
l’immobilier, s’est diffusée l’idée selon laquelle les maisons sont des « tas
d’or », des « banques » à elles seules. Si un ménage, même
endetté jusqu’au cou, vivait dans une maison estimée à 200.000 dollars, alors
il pouvait emprunter une part proportionnelle à la banque, proche parfois de la
valeur estimée du bien. Du point de vue des banques, le calcul était
simple : en prêtant de l’argent, les ménages pourront consommer, investir,
vivre mieux et dégager bientôt de quoi nous rembourser ; pour ce service,
nous pouvons appliquer des taux d’intérêts fluctuants, très profitables,
indexés sur le marché pour maximiser le rendement des prêts
hypothécaires ; enfin, si la famille en vient à ne plus payer ses traites,
nous pourrons saisir le logement, ce qui constitue une garantie de
remboursement à coup sûr. Chacun sait aujourd’hui que ce scénario ne s’est pas
déroulé comme prévu.
La perversion du système
Si le mécanisme de crédits en était resté là, tout injuste qu’il est
pour des travailleurs pris à la gorge, il n’aurait pas provoqué la tempête de
2008. En réalité, le système va beaucoup plus loin. La finance capitaliste
repose sur un principe élémentaire : les établissements prêtent de
l’argent qu’ils n’ont pas. Pour bien comprendre, nous allons prendre un exemple
abstrait.
Mettons que mille individus demandent, chacun, un prêt de mille dollars
à la banque A. Celle-ci n’a pas un million d’euros en poche ; mais elle
peut en avoir seulement 100.000, soit 10%, et accorder malgré tout ces
prêts. Le procédé est simple : pour récupérer le million de dollars, elle
recourt marché financier. En émettant des actions, elle peut se financer
massivement, pour réaliser ses opérations et au final, donner à ses financeurs
une bonne rentabilité. Le plus souvent, ça fonctionne très bien : la
banque A, si elle applique un taux d’intérêt moyen de 5% à ses clients, en
redistribuant 3% aux actionnaires et en empochant 2% de commission, fait une
excellente affaire. Cela signifie qu’elle a gagné 20.000 dollars, pour avoir
prêté un argent qu’elle ne possède pas ; et au passage, elle a grassement
rémunéré les actionnaires, qui auront davantage confiance en elle.
En réalité, les sommes sont bien plus élevées, donc les risques aussi.
Pour parer les probabilités de ne pas se voir rembourser, la banque A veille à
mutualiser les risques. Elle combine les engagements financiers : si une
action reposait, au bout du compte, sur un seul crédit, elle ne vaudrait plus
rien au cas où l’endetté ne rembourserait pas. La banque A veille donc à ce que
chaque titre sur le marché corresponde à une somme de parts dans de nombreux
crédits, étalés temporellement et géographiquement : c’est latitrisation. De
plus, notre banque émet en réalité des actions pour un montant supérieur aux
prêts qu’elle fournit aux ménages ; ainsi, elle place des capitaux dans
une multitude d’investissements, sûrs ou très rentables. Avec une trésorerie
toujours égale à 100.000 dollars, la banque A peut donc brasser, par exemple,
deux millions de dollars sur les marchés financiers : tout repose sur la
promesse de gains contenue dans le bénéfice qu’elle réalisera sur cette
capitalisation élevée.
Là où l’affaire se corse dangereusement, c’est que les deux millions de
dollars de capitalisation font eux-mêmes l’objet d’une spéculation. A partir de
ces actifs financiers sont émis des dérivés de crédit, consistant en des
options d’achats – mais pas des promesses – des actions concernées. Ce mécanisme
permet, a priori, de réduire les risques : un autre financeur,
l’acheteur du dérivé, se porte garant pour l’actif et le « protège ».
En réalité, c’est un moyen pour les financeurs de doper dans des proportions
astronomiques la quantité de capitaux, donc les revenus qui leur sont liés –
les dividendes notamment. Ce commerce juteux s’est placé, ces dernières
décennies, au cœur du système financier international. Pour l’exemple de la
banque A, les deux millions d’actifs financiers peuvent faire l’objet d’un
montant équivalent de dérivés de crédit. La capitalisation totale de l’affaire
est donc portée à quatre millions de dollars ; le tout, alors que seul un
million a été effectivement prêté, et pourra fera l’objet de
remboursement ; et alors que la trésorerie de la banque A est, encore et
toujours, à 100.000 dollars, soit moins de 3% de la capitalisation totale
prenant en compte les dérivés.
L’exemple présenté, derrière des sommes abstraites pour rendre les
mécanismes intelligibles, est loin d’être une exception : c’est le modèle
de la finance capitaliste. Il est question ci-dessus de dollars, pour ne pas
trancher avec le présent exposé sur les subprimes ; mais le raisonnement
reste parfaitement valable en euros ou en francs, étant donné que le mécanisme
est tout autant utilisé par les compagnies d’assurance et les banques
françaises. Revenons donc à notre exemple. A partir d’un millions de dollars
dans l’économie réelle, qui représentent déjà un pouvoir d’achat artificiel
pour les ménages endettés, ce sont quatre millions qui peuvent transiter sur
les marchés et arroser copieusement les gros porteurs d’actions. Le système
tient parce que les capitaux se renouvellent, parce que les ménages continuent
de contracter toujours plus de crédits immobiliers ou à la consommation, et
parce que les mouvements de fonds sont permanents. Il subsiste même si, parmi
les 1.000 individus qui ont emprunté mille dollars à la base, 50 en viennent à
ne pas pouvoir rembourser. Mais à 100 insolvables, le système vacille dangereusement ;
et si la confiance se perd, les capitaux s’enfuient aussi rapidement qu’ils
sont arrivés.
La crise des subprimes
Différents facteurs ont progressivement conduit à la crise des
subprimes, survenue en août 2007. D’abord, les taux d’intérêts appliqués par
les organismes de crédits pour les prêts hypothécaires se sont envolés, quand
la Réserve fédérale – la banque centrale états-unienne – a rehaussé son taux
directeur, de 1% en 2004 à plus de 5% en 2007. Dès lors, le montant des
échéances mensuelles ont grimpé pour ceux qui avaient souscrit à un crédit
subprime. Une raison rarement évoquée par les observateurs est le marasme
économique états-unien : comme en France, bien qu’à un degré moindre,
l’appareil industriel des USA a été progressivement démantelé, ces dernières
décennies, par les grands groupes capitalistes qui ont délocalisé la production
en Asie. Dans leur pays d’origine, ces entreprises maintenaient un chiffre
d’affaire artificiellement élevé par de nombreux engagements financiers avec le
secteur de la bancassurance ; ce n’est donc pas pour rien si des géants,
comme General Motors, sont passés en 2008 à deux doigts de la faillite.
Toujours est-il que le chômage des Etats-Unis a grimpé au cours des années
2000, renforçant la condition de pauvreté des travailleurs américains, et donc
leur incapacité à payer leurs traites.
Dès lors, un nombre grandissant de ménages se sont vus dans
l’incapacité de régler les échéances mensuelles. Le phénomène grandissant, il a
d’abord mis en danger les asset-backed security, ou ABS, les titres
financiers conçus à partir des crédits subprimes. Les banques et assurances
propriétaires de ces titres les avaient, elles-mêmes, transformés en toutes
sortes de dérivés de crédits, dont lescollateralised debt obligation ou
CDO, considérés sûrs car mêlant les créances immobilières des subprimes à des
titres obligataires émis par les Etats. Le rendement promis pour ces produits
financiers était élevé, c’est pourquoi certains établissements, financiers
voire immobiliers, s’étaient spécialisés dans la détention de ces titres. Plus
les organismes détenaient de ces actions « toxiques », et plus
rapidement ils se sont retrouvés piégés. En 2007 puis en 2008, ce sont des
poids lourds qui ont successivement été atteints par la paralysie
financière : la banque Bear Stearns, d’abord, pionnière dans les méthodes
de titrisation – parfois répétées sur les mêmes produits pour espérer créer une
cascade de profits. Investie à plus de 80% sur le marché des capitaux,
délaissant l’économie réelle comme la gestion de patrimoine (10%), la Bear était
la cinquième banque d’affaires de Wall Street. En situation de dépôt de bilan,
elle a été rachetée en mars 2008 par la banque commerciale JPMorgan Chase à 10
dollars l’action, soit treize fois moins que son niveau d’octobre 2007.
Au printemps 2008, certains pensaient que le pire était passé ;
mais l’étau ne faisait que commencer à se refermer sur des acteurs plus
importants encore, comme le retrace le captivant docu-fiction Too big to
fail [13].
Fannie Mae (FNMA) et Freddie Mac (FHLMC), deux sociétés par actions créées par
le gouvernement fédéral pour augmenter la taille du marché des prêts
hypothécaires, se sont retrouvées asphyxiée : à elles deux, elles
assuraient envers les organismes de crédits 5.200 milliards de dollars
d’hypothèques, soit des centaines de fois leurs fonds propres. Fin juillet, au
bord de la faillite, le Trésor consent à prendre le contrôle des entreprises
pour éviter la liquidation pure et simple. Enfin, ce fut au tour de Lehman
Brothers, quatrième banque des Etats-Unis, de se retrouver sous le feu des
projecteurs. Les événements ont alors sévèrement démenti l’adage courant dans
le milieu de la finance américaine, appliqué notamment dans le cas de cette
banque, selon lequel l’établissement serait « trop gros pour faire
faillite ». Mi-septembre, faute de repreneurs, Lehman Brothers n’a eu
d’autre choix que d’être liquidée, faisant s’envoler les promesses de
rendements et de remboursements des innombrables acteurs financiers engagés
avec elle. La faillite de la banque fut l’élément déclencheur du krach boursier
international.
Recave géante
Les observateurs se penchant sur l’étude de la crise financière
mondiale se sont surtout focalisés sur la question des crédits subprimes, sur
les conditions du marché américain, ou sur le comportement du Trésor – c’est
d’ailleurs l’angle du téléfilm de HBO cité plus haut. Rares sont ceux qui se
sont intéressés à la partie émergée de l’iceberg, le système financier
lui-même.
Il est vrai que les subprimes, en tant que placements risqués qui ont
fini dans le mur, sont l’élément déclencheur du krach international ;
mais, finalement, ils n’en sont pas le moteur. La cause première de la crise
réside dans la structure même de la finance capitaliste, c’est-à-dire la
titrisation et la production de dérivés de crédits. Complexe et technique, la
question est soigneusement évitée par les « grands » médias, tant
obnubilés par leur audience que défenseurs invétérés du capitalisme
contemporain. Pourtant, c’est bien la structure même de l’économie qui permet
une telle spéculation, et qui engendrera des crises toujours plus violentes.
Au lendemain de la crise financière, les chefs d’Etat, rassemblés au
Conseil européen ou au G20, ont multiplié les déclarations d’intention. En
janvier 2009, Nicolas Sarkozy ouvrait à Paris la conférence internationale « Nouveau
monde, nouveau capitalisme », en insistant : « on doit moraliser
le capitalisme (…) ceux qui refusent la refondation, font le lit de ceux
qui veulent détruire le capitalisme ». A ses côtés, Angela Merkel estimait
que « la seule possibilité » était de « réformer le système
financier », « pour inciter les marchés financiers à ne pas prendre
trop de risque ». Tony Blair, alors jeune retraité de son poste de Premier
ministre britannique et consultant financier pour les multinationales,
abondait : « il faut une gouvernance mondiale afin de réguler le
système financier face à la crise internationale ». Il est important de
préciser que tous ces discours restèrent lettre morte. Plus aucun dirigeant ne
parle de régulation, au contraire ; tous insistent sur le besoin de rendre
l’économie « compétitive », donc de la libérer de toute contrainte –
même, par exemple, pour établir un seuil de ratio entre fonds propres et
capitalisation à ne pas dépasser.
Cette envie passagère de « moralisation » était une réponse contextuelle
à des peuples interloqués par les sommes en jeu. En novembre 2008, pour « sauver
les banques », les Etats ont mis des sommes astronomiques sur la table.
Ainsi, la France a proposé 360 milliards d’euros de recapitalisation et
d’argent frais aux banques qui le souhaitaient, une initiative alors saluée y
compris par le Parti socialiste et le Front national, satisfaits de voir les
grandes banques françaises extraites de la tempête. Sans aucune contrepartie,
cette manne incroyable a été distribuée aux établissements financiers qui
n’hésitaient pas, bientôt, à mordre la main qui les a nourris. Car ces
centaines de milliards ont été financés par un large emprunt de l’Etat sur les
marchés, c’est-à-dire aux mêmes banques et compagnies d’assurances bénéficiant
du « plan de sauvetage » ; et elles n’hésitaient pas à tout
faire pour maintenir, sur cette dette créée de toutes pièces, les taux
d’intérêts les plus élevés. Dans un rare instant de lucidité [14],
Le Monde relaya en janvier 2014 une étude selon laquelle « entre 200 et
300 milliards d’euros par an d’avantage financier » ont bénéficié aux
banques européennes.
Même au cœur de la crise financière, en 2008, les principales banques
françaises ont réalisé des milliards d’euros de bénéfices, distribuant à leurs
dirigeants et actionnaires des gigantesques profits. Grâce à la
recapitalisation gratuite fournie par les Etats, donc les travailleurs
contribuables, aucune remise en question n’a été réalisée par les grands
établissements financiers. En fait, alors que le krach venait de faire
disparaître en poussière des milliers de milliards d’euros dans les bourses de
la planète, les gouvernements et la grande bourgeoisie financière propriétaire
des banques ont simplement veillé à remettre dix balles dans le flipper. Ou
pour prendre une image plus appropriée aux méthodes de casino employées dans la
finance capitaliste, à opérer une « recave » géante – paiement d’une
nouvelle mise pour revenir à la table de jeu, après avoir perdu au poker. Les
milliers de milliards d’euros dépensés par les Etats pour « aider »
les banques ont permis à ces dernières de poursuivre leurs activités de
spéculation, en prétextant que les cesser reviendrait à céder à la panique, le
tout sous les applaudissements des politiciens européens. Dans ce mauvais
cirque, les travailleurs ont été doublement perdants : d’abord, ce sont
les petits porteurs et les salariés qui ont subi de plein fouet la crise
financière ; ensuite, ce sont tous les contribuables, notamment les
simples employés écrasés par les taxes, qui ont payé le remboursement de la
dette publique, donc le « plan de sauvetage » du système.
La bulle éclatera
L’un des premiers principes du capitalisme est l’opacité dans laquelle
les dirigeants économiques opèrent. Les propriétaires de capitaux ont un droit
inaltérable à l’anonymat, à la « liberté » de spéculer avec des
sommes à peine croyables, et n’ont de comptes à rendre à personne. Il est donc
très difficile de connaître la situation réelle des banques aujourd’hui, et
pour l’observateur étranger aux cercles de pouvoirs, se fier aux indices laissés
par le marché sont la seule option. Le rapport du FMI est, à lui seul, un
puissant révélateur sur l’état d’esprit dans lequel se trouvent les dirigeants
financiers, pourtant versés d’ordinaires dans l’autosatisfaction et le déni des
risques.
« La délégation de la gestion quotidienne de portefeuille crée des
problèmes d’incitation entre investisseurs ultimes et gestionnaires, ce qui
peut encourager des comportements déstabilisateurs et amplifier les crises »,
dit le Fonds monétaire international. « La stabilité financière n’est pas
fermement établie dans les pays avancés et les risques se sont intensifiés dans
beaucoup de pays émergents » poursuit l’organisme international, dans un
discours dont la platitude n’a d’égale que le caractère exceptionnel. Le
meilleur résumé se trouve sans doute dans les constatations les plus techniques
: « Les options de rachat facile et la présence d’un «avantage du
précurseur» peuvent provoquer des risques de ruée, et la dynamique des prix
ainsi enclenchée peut s’étendre à d’autres compartiments du système par le
conduit des marchés de financement, des bilans et des garanties. ». Au cas
où ça ne vous semble pas très clair, en langage FMIste, ça signifie que la
prochaine crise internationale est pour très bientôt.
Ça gonfle, ça gonfle
L’autre institution internationale issue de Bretton Woods, la Banque
mondiale, présente des statistiques qui peuvent être un marqueur très
intéressant. Pourtant, comme l’INSEE, la façon dont les données sont présentées
et structuraient gomment volontairement les paradoxes béants de l’économie
contemporaine, pour mieux défendre l’ordre établi ; de plus, la Banque
accuse un grave retard dans la publication des chiffres, les derniers en date
étant ceux de l’année 2013. Néanmoins ils restent instructifs : les
capitalisations boursières totales des entreprises cotées [15],
après avoir accusé le coup en 2007-2008 et en 2011, sont nettement reparties à
la hausse. Elles marquent une reprise en flèche des spéculations boursières,
alors même que les économies réelles ont tendance, elles, à patiner.
Les ratios capital/actif des banques ont suivi, en sens inverse, la
même courbe [16] :
ces dernières années, la part de fonds réels contenue dans la capitalisation
des établissements financiers a lourdement diminué ; et tout indique que
le mouvement s’est accéléré entre 2013 et 2015, une période non traitée par la
Banque mondiale. Cette courbe internationale n’a pas été suivie par la France :
notre pays a légèrement amélioré son ratio ces dernières années. Il faut dire
que les banques hexagonales partaient de très loin : en 2013, dernier
chiffre connu, les établissements français ne disposaient toujours que de 5,4%
de fonds propres par rapport à l’ensemble de leurs actifs financiers. C’est, à
très peu de choses près, au même niveau que l’exemple que nous donnions :
une capitalisation à deux millions d’euros pour un capital réel à 100.000
euros.
Plus probant encore, la montée vertigineuse des capitalisations est
constatable par l’évolution des places boursières, autant valable en points d’indice
qu’en montant monétaire. Le Dow Jones, qui avait atteint les 14.198 points en
octobre 2007, a dégringolé dans les mois qui ont suivi, passant brièvement sous
la barre des 8.000 points début 2009. Mais très rapidement, il a repris un
rythme de croissance soutenu, franchissant son record avec 14.268 points en
mars 2013, et ne cessant de crever le plafond depuis. Le 19 mai 2015, il a
établi son plus haut niveau en fermeture à 18.312 points ; au soir du 1er juin,
il était toujours supérieur à 18.000.
La Bourse de Paris et son indice phare suivent la même déroutante
course. Supérieur à 5.000 points en ce début du mois de juin, il atteint
surtout des niveaux de capitalisation record. Mi-juillet 2007, avant d’être
affecté par la crise des subprimes, le CAC 40 établissait un record avec tout
juste 1.300 milliards d’euros. Il a ensuite lourdement baissé dans les dix-huit
mois qui ont suivi : d’environ 1.000 milliards début 2008, le CAC n’était
plus qu’à 570 milliards d’euros début 2009. Depuis, l’indice boursier français
n’a fait que grimper, si bien que ce printemps, le record de juillet 2007 a été
allègrement franchi. Le CAC s’est élevé au-dessus des 5.000 points, en
finissant le 1er juin avec une capitalisation de 1.353,28 milliards
d’euros ; et le 27 avril, il a même réalisé un record en clôturant à 1.415
milliards.
L’explosion pour bientôt
Ces chiffres qui se succèdent semblent ne pas signifier grand-chose, et
il est vrai qu’ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ce sont de
petits révélateurs d’un mouvement global : jamais la capitalisation, en
France et dans le monde, n’a été aussi élevée. En ajoutant l’ensemble des
établissements financiers, le fossé entre l’économie réelle et la spéculation
boursière devient une abîme. Dans cette course effrénée, la bulle gonfle encore
et toujours, en quantité et en proportions, faisant apparaître toujours plus
nettement la seule perspective possible : l’éclatement violent de ce
gonflement artificiel, le plus grand que l’Histoire aura connu.
Les grands porteurs d’action, les milliardaires de la grande
bourgeoisie financière, savent parfaitement jouer avec les règles du
marché ; quand la bulle surviendra, ils en seront les premiers informés,
car ils disposent de tous les outils pour visualiser l’évolution proche des
actifs financiers. En attendant, ils s’empiffrent sans aucun cas de
conscience : en 2014, les dividendes du CAC 40 ont bondi de 25%. Dévoilés,
sans bruit [17],
en février 2015, ils ont atteint 56 milliards d’euros pour la seule année
dernière, et pour les seules quarante entreprises présentes dans l’indice. Le
record, accompli en 2007 avec 57,1 milliards d’euros, est frôlé.
Dirigeants économiques, politiciens et éditorialistes poursuivent leurs
activités, vaquent à leurs occupations sans se soucier de la suite. Pourtant,
dans les sphères proches du pouvoir – réel, celui de la grande bourgeoisie – la
certitude d’une crise prochaine se dessine plus clairement. Et cette fois,
personne ne sait exactement comment en sortir. Les Etats, déjà étranglés par
une dette gigantesque due au « sauvetage » de 2008 et aux intérêts
des créanciers, auraient bien du mal à allonger la monnaie pour « recaver »
une deuxième fois dans la même décennie. Mais pour l’instant, nos très chères
élites font l’économie d’une telle discussion.
Le scénario se confirmera : si ce n’est pas cet été, ni en 2016,
ce sera à coup sûr dans les prochaines années. Le système financier capitaliste
est un monstre gigantesque, en croissance permanente, construit toujours plus
sur du vide. La sortie de la crise financière de 2008 par une extorsion massive
de richesses aux peuples, organisée par la caste politico-médiatique aux ordres
de la classe capitaliste dominante, a simplement accordé un sursis de quelques
ans au système en place. La crise des subprimes, et le krach international
consécutif, ont révélé la nature même du régime économique de notre époque, où
l’artifice cache mal les blessures profondes. Il ne reste plus qu’à espérer que
les peuples, à commencer par les travailleurs français, en fassent une occasion
de pousser à la transformation radicale de notre société. Céder à la servitude
une nouvelle fois mettrait à genoux la France, sa classe ouvrière, son restant
de souveraineté ; se redresser, au contraire, est toujours possible. Il
faudra, simplement, arrêter de s’incliner devant la poignée de milliardaires et
leurs avatars politiques, de la gauche socialiste à l’extrême-droite chauvine.
Les indices ne manquent pas pour annoncer la crise prochaine. Déjà, le
FMI sonne l’alarme, dérogeant à ses habitudes les plus élémentaires ;
ensuite, les faillites en série dans l’espace européen sont un signal fort de
ce qui adviendra ; enfin, la structure même de la finance capitaliste
pousse l’économie, à vitesse grand V, vers le prochain krach boursier. Il ne
fait nul doute que la prochaine crise arrivera ; ce peut être cet été, ou
dans cinq voire dix ans, mais elle est inéluctable. La course effrénée conduite
par les grands financiers, poussés par la caste politico-médiatique, fera
beaucoup de dégâts – et avant tout chez les travailleurs qui nourrissent le monde
de richesses, plutôt que chez les spéculateurs qui gonflent leur fortune. La
question qui doit nous animer, désormais, est moins la façon dont cette crise
se déroulera, ou le moment auquel elle surviendra ; mais ce que nous
ferons, en tant que peuple déjà âprement exploité, quand l’économie mondiale
sera à nouveau à la croisée des chemins.
Sources :
3 : https://www.banque-france.fr/economie-et-statistiques/changes-et-taux/les-indices-obligataires.html
8 : http://fr.euronews.com/2015/05/28/la-banque-russe-sberbank-victime-de-la-crise-et-des-sanctions/
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