PAR MATHILDE GOANEC | 09
JUIN 2015 |
Si Manuel Valls aime l’entreprise, il aime encore plus le patronat.
Avec ses mesures pour l’emploi, le premier ministre s’attache à répondre point
par point aux demandes des employeurs, quitte à détricoter un peu plus le code
du travail.
Le chef de Matignon avait promis aux syndicats reçus la semaine
dernière qu’il ne toucherait pas au CDI, véritable casus belli et
ligne rouge pour un certain nombre de militants socialistes. Une fois cela
acté, le premier ministre a sûrement estimé avoir les coudées suffisamment
franches pour rogner sur les fondamentaux du droit social à la française. À
commencer par l’extension du recours aux CDD, qui pourront désormais être
renouvelés deux fois, au lieu d’une aujourd’hui (dans une limite de 18 mois
consécutifs). « Une souplesse de bon sens », assure le premier
ministre. La génération précaire appréciera : après une flopée de stages,
ce n’est plus un mais deux CDD que les jeunes arrivant sur le marché du travail
pourront enchaîner avant d’avoir le privilège de peut-être enfin accéder au
CDI. La dernière étude de l’Insee sur les inégalités est pourtant
sévère sur la dislocation du marché du travail et la pauvreté grandissante dans
laquelle vivent les Français de moins de 30 ans. Les abus étaient déjà
nombreux, ils sont désormais entérinés au sommet de l’État. Plus que jamais, la
précarité devient la norme, dans une veine libérale assumée. Validée par le
président François Hollande, celui là-même qui, à l’été 2012, à la tribune de
la première «conférence sociale» de son quinquennat sous les ors du Palais
d’Iena, promettait de refaire du CDI la norme et de s’attaquer à l’explosion
des contrats courts.
Le plafonnement des indemnités prud’homales, en fonction de la taille
de l’entreprise et de l’ancienneté des salariés, d’apparence plus technique,
n’en est pas moins lourd de conséquences. « Nous voulons apporter des
réponses aux employeurs qui parfois hésitent à embaucher parce que
l’éventualité d’une procédure de licenciement conflictuelle les freine »,
plaide Manuel Valls. Dans la logique socialiste, le licenciement est de
moins en moins un accident de parcours. Il se calcule, se prévoit, se
provisionne. Or en mêlant barèmes, plafond et plancher, Manuel Valls marche sur
un fil. Il évite a priori le couperet constitutionnel, qui exige que
le juge soit maître de sa sanction, mais risque de provoquer l’ire des
syndicats, CFDT compris, même s'il a pris soin d’exclure les cas les plus
graves de sa réforme. Pour le moment, seules les PME sont concernées. Les
barèmes pour les entreprises de plus de 250 salariés seront examinés
ultérieurement,« par les parlementaires ».
Dans ce gouvernement socialiste, une boulette de François Rebsamen devient
également, le temps aidant, une réforme apte à booster le business. Ainsi la
question des seuils sociaux dans les entreprises. Ils ont déjà été assouplis
dans la loi sur la modernisation du dialogue social ainsi que dans la loi
Macron. Désormais, les petites entreprises qui passeront les seuils des 10 et
50 salariés auront un délai de trois ans pour s’acquitter de leurs nouvelles
obligations fiscales et sociales. Les appels du pied de Pierre Gattaz au Medef
et de François Asselin à la CGPME ont bien été entendus. Ces derniers se sont
d’ailleurs félicités, à grand renfort de communiqués de presse et de déclarations, de
ces« bonnes initiatives ».
Sur les accords de maintien dans l’emploi aussi, le gouvernement joue
encore une fois contre le salarié. Initiés par l’accord national
interprofessionnel (ANI) voté en 2013 pour permettre aux entreprises de
temporairement réduire les salaires tout en augmentant le temps de travail en
cas de difficultés économiques, une poignée seulement ont finalement été
signés. La cause de ce flop pour le patronat ? La résistance de
certains salariés, qui refusent de signer ces accords. Ils peuvent être
licenciés, mais pour raison économique, avec intervention de l’inspection du
travail et indemnités afférentes. Une contrainte désormais levée.
Par compensation, le premier ministre a largement communiqué sur sa
prime à la première embauche qui sera immédiatement versée aux toutes petites
entreprises n’ayant jamais embauché. Quatre mille euros censés pousser les tout
petits à franchir le pas, qu’ils embauchent en CDI ou en CDD. Plus de 60 000
emplois pourraient ainsi être créés selon Matignon. Une mesure séduisante a
priori, mais qui arrive après une série d’incitations à l’emploi trop rarement
évaluées. Le gouvernement a-t-il pris la mesure de l’échec du contrat de
génération, qui inclut lui aussi une aide de quelques milliers d’euros aux TPE
et PME pour chaque embauche ? Que dire aussi des millions d’euros
distribués dans le cadre du CICE ou du Pacte de responsabilité, alors même que
le patron des patrons, Pierre Gattaz, s’assoit sur ses engagements sans vergogne ?
Enfin, c’est la méthode qui choque. Les mutations induites par cette
série de mesures seront profondes. Pour éviter la controverse, elles vont
s’agréger, par la petite porte des amendements, à deux textes différents, les
très fourre-tout lois Rebsamen et Macron (dont on voit déjà les limites avec un
possible recours à un deuxième 49.3). Drôle de manière de concevoir le monde du
travail, ainsi que la démocratie.
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