PAR LÉNAÏG BREDOUX ET MARTINE ORANGE | 26 AOÛT 2014 |
Arnaud Montebourg remplacé par Emmanuel Macron au ministère
de l'économie, de l'industrie et du numérique: c'est le grand symbole du
remaniement.
Anaud Montebourg remplacé par Emmanuel Macron : c'est le
grand symbole du remaniement annoncé mardi par l’Élysée. L'ancien banquier de
Rothschild, secrétaire général adjoint de l’Élysée pendant deux ans, est nommé
ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Un choix qui vient
définitivement solder le débat ouvert par l'ancien candidat de la
démondialisation sur la politique économique du gouvernement et qui lui a coûté
son poste au gouvernement.
À 36 ans, Emmanuel Macron entame déjà une sixième vie.
Pendant deux ans, de mai 2012 à juin 2014, il a été un des piliers du cabinet
de François Hollande à l’Élysée, en tant que secrétaire général adjoint,
supervisant tous les grands dossiers économiques et industriels, y compris
certaines batailles du CAC 40, ainsi que les grandes négociations européennes.
Par ses fonctions, il était très régulièrement amené à travailler avec Arnaud
Montebourg, ministre du redressement productif puis de l'économie, jusqu'à son
départ – les deux hommes s'estimaient et ils se sont parfois mutuellement
soutenus (comme sur Alstom), unis par la défense d'un certain « volontarisme
industriel », selon l'expression d'Emmanuel Macron.
Mais sur les grands équilibres macroéconomiques, les deux
hommes incarnent malgré tout deux sensibilités au sein du PS, l'une plus
keynésienne et critique de l'austérité pour Montebourg, l'autre plus libérale
et arc-boutée sur la réduction des déficits pour Macron. Aux yeux de la gauche
du PS, mais aussi des députés critiques de la majorité, cet ancien banquier d'affaires
avait fini par incarner la dérive libérale de l'exécutif et la mainmise des
technocrates sur le gouvernement. Ils parlaient même de victoire de la
« ligne Macron », dont l'achèvement était apparu lors de la
conférence de presse de François Hollande le 14 janvier dernier avec l'annonce
du pacte de responsabilité.
À l'époque, même Jean-Marc Ayrault, pourtant
social-démocrate revendiqué, en est mal à l'aise. « C’est François
Hollande, tout seul avec Macron et quelques patrons, qui en décide. Le premier ministre
n’est prévenu que quelques heures avant »,rappelle
un ancien de Matignon. « Matignon était très business friendly
mais très vite, on a été mal à l’aise et c’est même devenu une
souffrance », témoigne un autre. Un troisième confirme : « L’équilibre
politique s’est rompu avec le pacte de responsabilité. » Ayrault et
son équipe s'étaient déjà heurtés à Macron à
propos de la réforme fiscale : l'ex-conseiller de François Hollande
était très réticent, notamment sur la fusion entre l'impôt sur le revenu et la CSG.
Avant sa nomination en avril dernier, l'ancien rapporteur du
budget devenu secrétaire d’État au budget, Christian Eckert, ne cachait pas non
plus son agacement vis-à-vis des conseillers de l’Élysée, et plus
particulièrement d'Emmanuel Macron. C'était en janvier 2014, après l'annonce
d'un dispositif fiscal pour les ménages, faite par le cabinet de François
Hollande. « On se souvient d’un certain nombre de comportements,
notamment de Claude Guéant à une certaine époque. Il y a des élus de la
République. Il n’est pas sain que des choses aussi précises, comme la baisse de
la fiscalité des ménages, soient annoncées par un conseiller du président de la
République, quelles que soient ses qualités », expliquait-il
alors.
Emmanuel Macron avait finalement
quitté l’Élysée en juin 2014, dans la foulée de la nomination comme
secrétaire général de Jean-Pierre Jouyet, ami personnel de François Hollande et
spécialiste des mêmes dossiers. Privé d'espace, Macron parlait de donner des
cours dans de grandes universités étrangères et était resté mystérieux sur son
avenir.
Son arrivée au poste de ministre de l’économie, de
l’industrie et du numérique illustre aussi le glissement – peut-être
définitif – du pouvoir de tous les dossiers économiques dans les mains de
la technostructure de Bercy. Comme si le politique, coincé entre la haute
administration des finances et la Commission européenne, avait renoncé à
exercer tout pouvoir sur le sujet ou même à faire semblant. Cette dérive était
déjà largement en cours lors du ministère de Pierre Moscovici. Celui-ci avait
tenu à garder Ramon Fernandez, très proche de Nicolas Sarkozy, comme directeur
du Trésor, poste qu’il occupait depuis 2009. Très apprécié de Berlin, c’est lui
qui discutait les positions de la France dans les grandes négociations
européennes et internationales, lui qui arrêtait souvent les compromis, Pierre
Moscovici se contentant souvent de lire ce qui lui avait été préparé. Alors que
Matignon avait demandé son remplacement, Pierre Moscovici, soutenu par toute l’administration
de Bercy, s’y était opposé pendant de longs mois, avant que Ramon Fernandez
finisse par céder et rejoigne son ami Stéphane Richard chez Orange, comme
directeur financier du groupe.
Désormais, ce maintien des apparences ne semble même plus
utile. Emmanuel Macron appartient complètement au sérail de la haute
administration de Bercy. Inspecteur des finances, il connaît les arcanes du
ministère, ses usages et ses modes de pensée. Il partage la plupart des
analyses. Il n’aura pas comme Arnaud Montebourg ces colères et ces critiques
contre les hauts fonctionnaires et particulièrement du Trésor. Ce qui lui avait
valu en retour d’être surnommé « le fou » par la haute
administration. Aujourd’hui, Bercy triomphe totalement : c’est un des
siens qui prend officiellement les manettes de l’économie, sans être passé par
la case politique. Comme ils n’ont cessé de le dire, les ministres passent, eux
restent. Ils font la politique de la France.
Interrogé sur France 2 quant à la nomination d'Emmanuel
Macron, Manuel Valls a défendu son nouveau ministre : « Emmanuel
Macron est un socialiste. On ne peut pas dans ce pays être entrepreneur,
banquier, artisan, commerçant ?! Cela fait des années qu'on crève de
débats idéologiques. (...) Sur M. Macron, j'entends des critiques, des
étiquettes qui à mon avis sont dépassées, surannées. Les critiques sont venues
de la gauche elle-même. Il y a toujours des politiques alternatives, mais j'ai
la conviction que celle que nous menons est la bonne, celle que nous devons
poursuivre pour redresser le pays. Il y a de beaux symboles (dans ce
remaniement, ndlr), M. Macron en est un. »
Les six vies d'Emmanuel Macron
Sa première vie fut pour la philosophie. Il devint assistant
de Paul Ricœur, commença une thèse, avant de s’apercevoir que tout cela n’était
pas pour lui. « Paul Ricœur a fait ses grands livres après 60 ans. Je
n’avais pas cette patience. C’était trop lent pour moi », explique-t-il.
Alors il entama sa deuxième vie et bifurqua vers des études plus conformes à
l'air du temps : Sciences-Po l’ennuya par son conformisme, l’ENA le
passionna. Il y découvrit la vie de l’État, l’administration, le pouvoir et la
politique. Il termina comme il se devait, dans la botte, à l’Inspection des
finances.
« Sarkozy m’a beaucoup aidé et les socialistes du
Pas-de-Calais aussi », dit-il pour résumer la suite, comme quoi la
philosophie lui a au moins appris à relativiser les situations. D’autres y
auraient vu au contraire un fâcheux coup du sort. Car à peine ses études
achevées, il est tenté par une troisième vie : la politique. Il s’embarque
pour faire de la politique locale dans le Pas-de-Calais. Mais entre le jeune
inspecteur des finances et les caciques de Liévin, le courant ne passe vraiment
pas. Les locaux ne voient en lui qu’un jeune ambitieux venu bousculer les jeux
locaux.« J’étais le jeune mâle blanc, ce qui ne pouvait constituer qu’un
handicap. Ils n’ont jamais considéré que je pouvais leur apporter quelque
chose », raconte-t-il, encore amer, après cette expérience.
Retour donc à l’Inspection des finances à temps plein. En
2007, lorsque Nicolas Sarkozy est élu, tous les jeunes de l’Inspection des
finances se précipitent pour entrer en cabinet ministériel : la voie
royale pour la suite. « Toute ma promo est partie », dit-il.
Pour sa part, Emmanuel Macron refuse, en dépit des multiples sollicitations
notamment pour rejoindre le cabinet d’Eric Woerth au budget. Questions de
convictions. Lui est à gauche, de gauche libérale certes, mais de gauche. Le
voilà donc en quarantaine : chargé de mission au Quai d’Orsay.
C’est là que Jacques Attali, chargé par Nicolas Sarkozy
d’animer une commission pour la croissance, vient le chercher. Dans la
quarantaine d’experts, économistes, conseillers en tout genre qui participent
aux travaux, il n’y en a pas tellement qui ont les idées, la plume et le temps
pour organiser les réunions et en rédiger les comptes-rendus. Deux mois après,
Emmanuel Macron est nommé rapporteur général de la commission Attali. Présentés
en grande pompe, les beaux projets de la commission connaîtront le sort de tant
d’autres : à la première menace de grève des taxis, furieux de voir
remettre en cause le numerus clausus, le tout est promptement enterré dans un
tiroir.
Mais cet interlude a permis à Emmanuel Macron d’élargir son
cercle de connaissances, de rencontrer d’autres personnes et de réfléchir. Il
n’a plus envie de repiquer à l’administration sous l’ère Sarkozy. Il veut un
travail autre, plus international, qui lui permette de comprendre le privé, la
vie des affaires, ce qui structure vraiment l’économie. « Tu devrais
regarder dans la banque d’affaires », lui suggère Serge Weinberg, ami de
Jacques Attali, qui le présente à la banque Rothschild. Il rencontre tous les
associés et est coopté. En septembre 2008, il entre dans la maison. « J’ai
eu de la chance. J’avais un parcours très peu intelligible. Personne ne pouvait
le comprendre ailleurs que chez Rothschild », dit-il.
La quatrième vie commence : celle de banquier
d’affaires. Emmanuel Macron apprend le monde des entreprises, les techniques
financières, les opérations internationales, le big business : « Les
grandes rationalités et ses aberrations », comme il le dit lui-même. Il
s’y amuse et y réussit : en 2011, il devient le plus jeune associé-gérant
de la banque. Mais il n’ignore pas combien cette vie de vif-argent, surpayée, a
ses limites : rien ne s’y construit sur le long terme. Surtout, il n’a pas
oublié la politique.
Parce qu’il considère qu’il est impossible de laisser faire
sans réagir, il propose gracieusement son aide en 2010 à la société des
rédacteurs du Monde, au moment où celle-ci se bat seule une dernière fois
pour son indépendance. Son plan est simple et audacieux : oser aller
jusqu’au dépôt de bilan pour apurer la situation financière et renégocier avec
les créanciers. Mais ni la direction du journal, ni les banquiers, ni le
pouvoir élyséen n’ont envie d’une telle solution : Le Monde doit
se normaliser et devenir un journal comme un autre. Avec regret, il regarde les
journalistes du quotidien pris au piège, n’ayant d'autre issue que de choisir
leurs repreneurs.
Dans le même temps, il a déjà commencé à travailler avec des
proches de François Hollande sur ce que pourrait être un futur programme
économique. Son nom fut naturellement prononcé comme un des membres de l’équipe
de l’Élysée, dès l’élection. Même s’il y eut quelques hésitations sur le
poste : conseiller économique ou secrétaire général adjoint. Il est
attendu à la fois sur les dossiers économiques mais aussi pour assurer un
relais avec le monde des affaires que le président connaît peu.
La banque Rothschild s’est quant à elle résignée à voir partir un de ses associés-gérants les plus prometteurs. Cela devient une habitude d’aller puiser chez elle des responsables pour la République. Déjà, Georges Pompidou était directeur général de la banque Rothschild avant de devenir premier ministre du général de Gaulle. En 2007, Nicolas Sarkozy était allé aussi rechercher son ancien directeur de cabinet, François Pérol, devenu associé-gérant de la banque, pour le nommer secrétaire général adjoint.
La banque Rothschild s’est quant à elle résignée à voir partir un de ses associés-gérants les plus prometteurs. Cela devient une habitude d’aller puiser chez elle des responsables pour la République. Déjà, Georges Pompidou était directeur général de la banque Rothschild avant de devenir premier ministre du général de Gaulle. En 2007, Nicolas Sarkozy était allé aussi rechercher son ancien directeur de cabinet, François Pérol, devenu associé-gérant de la banque, pour le nommer secrétaire général adjoint.
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