mardi 16 février 2016

Les YouTubeurs de gauche mènent la contre-attaque

La vidéo d'USUL sur l'économiste Bernard Friot 
Erwan Desplanques 15/02/2016

Alors que Jean-Luc Mélenchon lance son émission sur YouTube, plusieurs jeunes de gauche ripolinent le discours critique sur Internet sous le nom d'Osons causer ou Usul. La force de ces youtubeurs marxistes ? Leur capital sympathie !


Vous vous demandiez où était passée la gauche ? Eh bien, elle est là, sur YouTube, à gloser (et même pas dans le vide !). Vingt ans après la publication de Sur la télévision, de Pierre Bourdieu, ses jeunes héritiers semblent avoir migré sur Internet où ils mènent une charmante partie de ping-pong rhétorique, s'attaquant au fond des dossiers, sur la longueur, laissant l'écume politique aux médias traditionnels. C'est un peu la primaire invisible de la gauche. Moins une guerre de personnes qu'une bataille d'idées : une offensive de groupe (même pas concertée) pour contrer le discours de la fachosphère — ou le simple ronron néolibéral. Côté officiels, on trouve bien sûr Jean-Luc Mélenchon, candidat déclaré à la présidentielle de 2017, qui a lancé la semaine dernière son émission perso sur YouTube (Pas vu à la télé) — où il s'entretient avec une personnalité peu médiatique, comme Zoé Konstantopoulou, ancienne présidente du Parlement grec. Mais on trouve surtout une nuée d'anonymes, lecteurs d'Acrimed ou de Politis, qui éditorialisent avec plus ou moins de bonheur pour décrypter l'actualité et mettre un franc coup de barre à gauche.


“Un contrepoint idéologique à Alain Soral.”

Souvent, ces intellos biberonnés à la pensée marxiste se déguisent en Norman et Cyprien pour aimanter les ados, comme une légitime concession à l'air du temps. Parmi eux, le sympathique trio Osons causer, qui serait un peu l'anti-Causeur (Elisabeth Lévy est leur bête noire) et s'affiche dans StreetPress comme un « contrepoint idéologique à Alain Soral ». Ludo et Stéphane étaient amis en classe prépa à Henri-IV (Ludo appelle Bourdieu « Pierrot » et Stéphane déclare lire Le Monde diplo depuis ses 14 ans). Avec leur pote Xavier, ils ont lancé leur chaîne au mois de juin 2015 avec une vidéo au titre délibérement putassier — « Pourquoi les arabes sont des voleurs » —, débouchant sur un cours d'économie musclé, face caméra, fustigeant la fraude fiscale et la « criminalité en col blanc ». Fourbe mais efficace (la vidéo a été vue plus de soixante mille fois).

Fraîcheur indéniable


Depuis, ils frôlent les trente mille abonnés avec leurs logorrhées de quinze à trente minutes — ils appellent ça le « blabla d'intéret général » — sur la dette grecque, le bilan de Christiane Taubira, les manœuvres des lobbies, l'essor de Daech, etc. Ludo, qu'on voit à l'écran, assis devant sa bibliothèque, donne son avis sur tout à toute allure, cite Foucault ou Spinoza, dézingue Bolloré, recrache des bribes de socio et charme son public à base de « wesh les amis », « c'est du gros game » ou « à bientôt les potos ». Evidemment, il y a des longueurs (sur la forme) et pas mal de raccourcis (sur le fond) — on a un peu l'impression de retrouver l'étudiant trotkiste qui nous alpaguait à la sortie du lycée et qui avait toujours réponse à tout —, mais on note une fraîcheur indéniable, un élan, une façon assez intéressante d'occuper le terrain face à une droite dure qui se sent sur Internet comme chez elle.

Répondre à Soral et convertir la gauche critique au Web, c'est aussi ce qui a convaincu le youtubeur Usul, fils d'ouvrier et ex-militant LCR, d'arrêter ses chroniques de jeux vidéo pour bidouiller des vidéos fleuves sur la pensée de Frédéric Lordon ou tirer à vue sur BHL. Le montage est sophistiqué, ironique à souhait, le propos sans concession contre ceux que Serge Halimi nommait les « nouveaux chien de garde ». Usul a aujourd'hui cent dix mille abonnés et ses vidéos — qu'il appelle « cours d'autodéfense intellectuels » — sont visionnées entre trois cent mille et six cent mille fois ! (lire son portrait ici.)

D'autres tentatives émergent doucement, jeunes militants, éditorialistes, tribuns 2.0, souvent cultivés, parfois drôles, comme Le Stagirite (dix mille abonnés) qui décode la langue de bois des politiques (de droite) ou met en images « Le capitalisme expliqué par Einstein ». Ou la jeune youtubeuse archi sérieuse du Fil d'actu qui présente une sorte de JT soviétique mais touchant, expliquant les dessous de l'info, se faisant le porte-voix des sans-grade, dénonçant les manips du système (l'anti-BFMTV, pour résumer). De l'édito subjectif, creusé, orienté, assumé comme tel. A la fois aride et délassant, comme vous le constaterez vous-même...

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