PAR PAUL ALLIÈS 23 FÉVR. 2016
Il y a un mois, la publication du « rapport Badinter » a surpris par son apparente inefficience. Il s’éclaire autrement au vu de la forme et du fond de la réforme du droit du travail voulue par le gouvernement.
Ce rapport avait étonné (si ce n’est rassuré) par sa légèreté, ceux qui avaient lu Le travail et la loi, l’opuscule de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen paru en juin dernier. Il avait déçu ceux qui espéraient y trouver une réduction substantielle des droits acquis par les salariés depuis deux siècles. Si bien qu’on ne l’évoque plus guère maintenant à l’heure du projet de loi que Myriam El Khomri va présenter la semaine prochaine au Parlement.
Ce rapport est présenté pourtant sous la forme de 61 « principes essentiels » du droit du travail de telle sorte qu’il y aurait là une sorte de « charte des droits fondamentaux » qui viendrait surplomber les textes en vigueur en la matière et pas des moindres : l’article 34 de la Constitution qui prévoit que c‘est le Parlement qui « détermine les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale » ; les « principes fondamentaux » énoncés par la Cour de Cassation en la matière ou les « principes généraux du droit » du Conseil d’Etat. Beaucoup de ces « principes » émanent de traités internationaux et ont une valeur supérieure à la loi française. Néanmoins, Manuel Valls a dit à plusieurs reprises qu’il fallait entendre et lire les « principes Badinter » comme une sorte de préambule constitutionnel au « nouveau droit du travail du XXI° siècle ».
On n’abordera pas ici l’examen des mesures prônées par le rapport (voir l’article de Mathilde Goanec du 25 janvier dans Mediapart ou le Cahier spécial de l’Humanité de ce 16 février). On observera d’abord que Badinter parle de « principes indiscutables » dont on se demande qui en a fixé le fondement avec tant d’autorité. Il est vrai que la V° République méconnait la démocratie délibérative mais quand même ! Ainsi le terme de « salarié » qui renvoi aux droits collectifs des travailleurs, disparaît au profit de celui de « personne au travail » et à son cortège de signifiants ambigus sur « l’entreprise citoyenne ». En découle une série de droits individuels (la « durée normale du travail ») ou de régimes (« le bon fonctionnement de l’entreprise ») qui dérogent complètement au droit positif en vigueur (les 35 heures ou les Comités d’Hygiène et Sécurité ou encore les délégués du personnel). L’idée que la réforme du code du travail se ferait à droit constant est donc parfaitement mensongère.
Comme le dit fort bien Emmanuel Dockès (un des meilleurs juristes du travail qui soit) les énoncés du rapport tels « les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise » (art. 1) permettront de justifier la restriction d’un droit reconnu jusqu'ici comme fondamental. Cela se fera dans une insécurité juridique totale : les «principes Badinter » « constitu(eront) un système de références pour ceux qui auront pour mission d’interpréter les règles » dit le rapport. Ce sont donc les juges du fond qui devront les traduire dans le concret tandis que le juge du droit (la Cour de cassation) devra unifier les diverses interprétations produites. S’ajoutera à cela le contentieux né de la délégation aux entreprises de la fabrication d’un droit du travail cas par cas, à quoi incite le projet de loi. La complexité actuellement tant décriée du Code du travail s’aggravera donc, au détriment du salarié en particulier. Les 61 « principes essentiels » du rapport Badinter, intégrés dans la future loi El Khomri, vont rendre insécure et instable le droit du travail français.
Dans la perspective des élections présidentielles, il faut reprendre le chantier des principes fondamentaux de notre temps, prenant en compte les nouvelles formes du travail salarié et précaire. C’est ce que devra réaliser par une délibération démocratique, le Préambule de la Constitution d’une République moderne.
Il y a un mois, la publication du « rapport Badinter » a surpris par son apparente inefficience. Il s’éclaire autrement au vu de la forme et du fond de la réforme du droit du travail voulue par le gouvernement.
Ce rapport avait étonné (si ce n’est rassuré) par sa légèreté, ceux qui avaient lu Le travail et la loi, l’opuscule de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen paru en juin dernier. Il avait déçu ceux qui espéraient y trouver une réduction substantielle des droits acquis par les salariés depuis deux siècles. Si bien qu’on ne l’évoque plus guère maintenant à l’heure du projet de loi que Myriam El Khomri va présenter la semaine prochaine au Parlement.
Ce rapport est présenté pourtant sous la forme de 61 « principes essentiels » du droit du travail de telle sorte qu’il y aurait là une sorte de « charte des droits fondamentaux » qui viendrait surplomber les textes en vigueur en la matière et pas des moindres : l’article 34 de la Constitution qui prévoit que c‘est le Parlement qui « détermine les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale » ; les « principes fondamentaux » énoncés par la Cour de Cassation en la matière ou les « principes généraux du droit » du Conseil d’Etat. Beaucoup de ces « principes » émanent de traités internationaux et ont une valeur supérieure à la loi française. Néanmoins, Manuel Valls a dit à plusieurs reprises qu’il fallait entendre et lire les « principes Badinter » comme une sorte de préambule constitutionnel au « nouveau droit du travail du XXI° siècle ».
On n’abordera pas ici l’examen des mesures prônées par le rapport (voir l’article de Mathilde Goanec du 25 janvier dans Mediapart ou le Cahier spécial de l’Humanité de ce 16 février). On observera d’abord que Badinter parle de « principes indiscutables » dont on se demande qui en a fixé le fondement avec tant d’autorité. Il est vrai que la V° République méconnait la démocratie délibérative mais quand même ! Ainsi le terme de « salarié » qui renvoi aux droits collectifs des travailleurs, disparaît au profit de celui de « personne au travail » et à son cortège de signifiants ambigus sur « l’entreprise citoyenne ». En découle une série de droits individuels (la « durée normale du travail ») ou de régimes (« le bon fonctionnement de l’entreprise ») qui dérogent complètement au droit positif en vigueur (les 35 heures ou les Comités d’Hygiène et Sécurité ou encore les délégués du personnel). L’idée que la réforme du code du travail se ferait à droit constant est donc parfaitement mensongère.
Comme le dit fort bien Emmanuel Dockès (un des meilleurs juristes du travail qui soit) les énoncés du rapport tels « les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise » (art. 1) permettront de justifier la restriction d’un droit reconnu jusqu'ici comme fondamental. Cela se fera dans une insécurité juridique totale : les «principes Badinter » « constitu(eront) un système de références pour ceux qui auront pour mission d’interpréter les règles » dit le rapport. Ce sont donc les juges du fond qui devront les traduire dans le concret tandis que le juge du droit (la Cour de cassation) devra unifier les diverses interprétations produites. S’ajoutera à cela le contentieux né de la délégation aux entreprises de la fabrication d’un droit du travail cas par cas, à quoi incite le projet de loi. La complexité actuellement tant décriée du Code du travail s’aggravera donc, au détriment du salarié en particulier. Les 61 « principes essentiels » du rapport Badinter, intégrés dans la future loi El Khomri, vont rendre insécure et instable le droit du travail français.
Dans la perspective des élections présidentielles, il faut reprendre le chantier des principes fondamentaux de notre temps, prenant en compte les nouvelles formes du travail salarié et précaire. C’est ce que devra réaliser par une délibération démocratique, le Préambule de la Constitution d’une République moderne.
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