ENTRETIEN RÉALISÉ PAR JULIA HAMLAOUI
Avec l’examen de la loi Sapin 2, l’encadrement de la rémunération des grands patrons revient dans le débat. Pour l’économiste d’Attac, Dominique Plihon, les inégalités salariales qui n’ont cessé de se creuser sont le signe d’une nuisible « dévalorisation du travail ».
Au-delà de l’argument moral, quel est l’impact des hauts salaires sur l’économie ?
Dominique Plihon Tout le monde est d’accord, y compris chez les économistes libéraux, pour admettre qu’il n’y a aucune justification économique au niveau astronomique des salaires des grands patrons. Au contraire, les écarts croissants de salaires et les inégalités en général sont un facteur de déprime de l’activité économique, comme l’a démontré une étude de l’OCDE de 2014. Au niveau de l’entreprise, cette mauvaise rémunération relative du travail de la plupart des salariés est aussi le signe d’une dévalorisation du travail. Or, la compétence, le savoir-faire et les qualifications sont plus que jamais – dans une économie moderne, innovante, avec un rôle important des nouvelles technologies – la ressource principale de l’entreprise. De même, les entreprises distribuent toujours plus de dividendes à leurs actionnaires, et les patrons en profitent au passage, au détriment de l’investissement. L’objectif premier de ces patrons est d’abord de s’enrichir, eux et les actionnaires qui les soutiennent, plutôt que de promouvoir une entreprise plus pérenne dans le temps. Sur le plan économique, c’est dangereux et c’est préjudiciable à l’emploi.
Comment les écarts de rémunérations se sont-ils creusés et peut-on y mettre un terme ?
Dominique Plihon Depuis les années 1980, cet écart n’a, en moyenne, pas cessé de s’accroître. La classe de Davos – les grands patrons les plus riches – n’hésite pas à augmenter, avec des mécanismes complètement fous, son niveau de rémunération et de dividendes tandis que l’austérité salariale est de rigueur. Dans les années 1960, ces écarts étaient, en moyenne, de 1 à 10, voire de 1 à 15. Aujourd’hui, ils sont de l’ordre de 1 à 50, pour ne pas dire de 1 à 100. C’est un mouvement de fond qui ne s’arrêtera pas sans intervention forte des États pour y mettre un terme. Le gouvernement a fait la faute de dire que les grands patrons s’autoréguleraient, le Medef en a fait la promesse. Il était prévisible que cela n’arriverait pas parce que les patrons n’appliquent pas à eux-mêmes les règles de la libre entreprise et de la concurrence qu’ils promeuvent par ailleurs. C’est un réseau de connivences fermé. Des règles fortes et contraignantes imposant un écart maximal de rémunération sont nécessaires.
Le gouvernement estime que son projet de loi permettra une transparence accrue de la vie économique, pourquoi jugez-vous qu’il ne suffira pas à lutter efficacement contre l’évasion fiscale ?
Dominique Plihon Le gouvernement affirme publiquement qu’il faut lutter contre l’évasion fiscale, qui nous coûte chaque année au moins 50 milliards d’euros, mais ne tient pas ses promesses, une fois de plus. La transparence est l’un des leviers pour lutter contre l’évasion fiscale, notamment avec le reporting (communication des données) de l’activité des multinationales concernant, entre autres, leurs filiales dans les paradis fiscaux. Dans la loi bancaire de 2013, un reporting a bien été voté mais il n’est pas public et laisse ouverte la possibilité de négociation dans la plus grande opacité entre les entreprises et Bercy. Avec la loi Sapin 2, le reporting proposé n’est ni public ni complet pays par pays puisqu’il n’inclut pas l’ensemble des pays où les multinationales ont des activités, leur laissant l’opportunité de cacher leurs bénéfices dans certains territoires. Le paradoxe est que cette loi est supposée encadrer les lobbys, mais qu’une fois encore le gouvernement a cédé à leur pression !
Dominique Plihon est Professeur d’économie à Paris XIII, membre d’Attac.
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