vendredi 28 février 2014

Révolution copernicienne : pour le FMI, les inégalités nuisent à la croissance


Une récente étude de l’institution prend le contre-pied des théories néolibérales. Chiffres à l’appui, elle démontre que les politiques de redistribution, loin d’être préjudiciables à l’économie, engendrent des croissances plus fortes et plus durables.

Est-ce le constat de l’impuissance des gouvernements et des banques centrales de relancer leur économie, après la crise financière de 2008 ? Le fonds monétaire international (FMI) paraît en tout cas tellement secoué par la crise qu’il s’engage dans une révolution copernicienne. Après avoir souligné la sous-estimation des effets récessifs des coupes budgétaires, puis avoir remis en cause la ligne de conduite de l’Europe dans le sauvetage de la Grèce, l’institution internationale est en passe de dynamiter une des grandes théories du libéralisme : celle qui assume que l’augmentation des inégalités et l’accumulation des richesses dans les mains d’un petit nombre de plus en plus réduit profitent à l’économie et au bout du compte à tout le monde, et que la redistribution est contre-productive.

Dans un long papier théorique, Jonathan Ostry, chef du département recherche du FMI, et les économistes Andrew Berg et Charalambos Tsangarides prennent le contrepied de ces croyances. « Si des incitations positives sont certainement nécessaires pour récompenser le travail et l’innovation, des inégalités excessives risquent de peser sur la croissance, par exemple en réduisant l’accès à la santé et à l’éducation, en provoquant de l’instabilité politique et économique qui réduit l’investissement et en mettant à mal le consensus social requis pour faire face à des chocs de grande envergure », écrivent-ils. Selon eux, les pays qui supportent un niveau élevé d’inégalité connaissent une croissance plus faible et plus volatile que les pays qui pratiquent une redistribution élevée afin de réduire ces inégalités.

Reprenant de nombreux travaux d’économistes qui se sont penchés sur les inégalités, les chercheurs du FMI constatent après eux que les inégalités de marché – c’est-à-dire avant impôts, avant redistribution – n’ont cessé de se creuser au cours des dernières décennies. Le fossé s’élargit partout dans le monde entre les plus pauvres et les plus riches. Le changement de ces trente dernières années est particulièrement frappant dans les pays de l’OCDE, où les salariés, soumis à la grande compression, ont connu une chute spectaculaire de leur niveau de vie, allant jusqu’au déclassement d’une partie d’entre eux, les politiques de redistribution ne permettant plus de compenser l’explosion des inégalités. Dans le même temps, comme le soulignait l’étude de l’ONG Oxfam, à la veille du sommet de Davos, les plus riches ont atteint un niveau d’accumulation jamais connu depuis la Première Guerre mondiale. Les 85 personnes les plus riches totalisent une fortune équivalente à celle de la moitié de l’humanité.

Loin d’avoir les effets bénéfiques escomptés, cette concentration de richesses entre si peu de mains engendre une croissance économique de plus en plus faible et de plus en plus volatile sur le long terme, selon les économistes du FMI. « De récentes études montrent comment les inégalités ont intensifié le cycle d’endettement et de financement, devenant la source de la crise, ou comment des facteurs d’économie politique, en particulier l’influence des riches, ont permis aux excès financiers de s’accumuler avant la crise », disent-ils, mettant leurs pas dans ceux de Stiglitz notamment. 

S’appuyant sur des travaux précédents, ils insistent sur le fait « qu’il existe une relation robuste entre l’égalité et la pérennité de la croissance ». « Ce serait donc encore une erreur de mettre l’accent sur la croissance et de penser que les inégalités se résolvent d’elles-mêmes, ne serait-ce que parce que la croissance qui en résulterait pourrait être faible et intenable. Les inégalités et une croissance intenable pourraient être les deux facettes d’un même problème », soulignent-ils.
Poser la question des inégalités revient à demander d’y répondre. Les gouvernements tentent de corriger les excès des marchés par des politiques de redistribution, passant par la fiscalité ou des soutiens. Des économistes ont soutenu qu’il existait un arbitrage entre redistribution et croissance, l’une se faisant au détriment de l’autre. « Nombreux sont ceux qui estiment que la redistribution sape la croissance, et même que les mesures prises pour redistribuer le revenu face à de fortes inégalités constituent la source de la corrélation entre les inégalités et une faible croissance. Si c’est exact, les taxes et les transferts pourraient bien être le mauvais remède, un remède qui pourrait être pire que le mal lui-même », écrivent-ils en préambule de leur démonstration.

Mais pour eux, ces affirmations ne se retrouvent pas dans les chiffres. Reprenant des bases de données internationales sur longue période, ils arrivent même au constat inverse. Les politiques de redistribution n’ont pas eu d’effets négatifs sur la croissance, bien au contraire : « En termes clairs, il ne semble guère établi qu’il existe un "arbitrage fondamental" entre redistribution et croissance (…)  La redistribution moyenne et la réduction des inégalités qui en résulte semblent être solidement liées à une croissance plus élevée et plus durable. »

Ces constats risquent de donner lieu à d’importantes controverses, au moment où les néolibéraux continuent de répéter que l’État est le problème, en dépit de tout ce qu’il a pu advenir depuis le début de la crise financière. Prenant les devants, les auteurs de l’étude rappellent que, certes, des politiques de redistribution peuvent être contre-productives, si elles ne sont pas menées de manière efficiente ou si elles dépassent un certain niveau. De même, ajoutent-ils, « une égalité extrême ne peut pas non plus être propice à la croissance ».

Mais ils ne constatent pas de tels risques, pour l’instant. « Les mesures que les pouvoirs publics ont généralement prises pour redistribuer le revenu ne semblent pas avoir pesé sur la croissance. En dehors de considérations éthiques, politiques ou sociales plus largement, l’égalité qui en résulte semble avoir contribué à une croissance plus rapide et plus durable. » « Dans bon nombre de cas, il semble donc improbable qu’il soit justifié de ne rien faire face à des inégalités élevées », concluent-ils.

« Cela montre qu’une extrême inégalité est dommageable non seulement parce que c’est moralement inacceptable mais parce c’est de la mauvaise économie », a réagi Oxfam dès la publication de l’étude du FMI. « Le FMI a cassé le vieux mythe que la redistribution est mauvaise pour la croissance et démoli la politique d’austérité. Le fait que les efforts de redistribution – essentiels pour lutter contre l’inégalité – sont bons pour la croissance est une révélation bienvenue. L’abaissement de la fiscalité et la réduction des dépenses publiques ne sont manifestement pas la voie pour la prospérité », a ajouté l'ONG.

Il faudra cependant du temps avant que ces nouveaux travaux de recherche du FMI trouvent une audience, tant ils bousculent des croyances bien ancrées. On pense au pacte de responsabilité, par exemple. La commission européenne réfute toujours les conclusions antérieures de l’institution sur la sous-estimation des effets récessifs des coupes budgétaires qu’elle a imposées aux gouvernements dans le cadre de ses politiques d’austérité. En présentant les chiffres de la croissance de la zone euro la semaine dernière, le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, s’enthousiasmait : « Cela prouve que notre politique marche », s’est-il félicité. Une croissance de 0,3 % après six années de crise, c’est effectivement un succès.


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