jeudi 20 février 2014

Partage du travail, "le facteur temps"

Par Frédéric Lutaud, membre du Bureau national du PS pour la motion 4
Discours prononcé à l’occasion du Forum européen « Partage du travail maintenant ! » qui se déroulait le 19 Novembre à Strasbourg.

Cher(e)s camarades, cher(e)s ami(e)s,

Si nous sommes venus débattre aujourd'hui, c'est parce que nous savons que la diminution du temps de travail n'est pas une simple mesure économique. Elle est bien plus que ça. La diminution du temps de travail est le levier qui permettra de basculer sur un nouveau modèle de développement. Elle est le socle de toute émancipation sociale. Autrement dit, la pierre angulaire qui fonde en pratique un choix de société. Celui-ci repose sur ce que j’appellerai le facteur temps.

Le facteur temps travaille nos sociétés et se décline en 5 piliers :

Premier pilier
Du temps libéré sur le travail pour travailler tous.
Aucune sortie de crise n'est possible si nous n'apportons pas rapidement une solution au chômage de masse qui vient d’atteindre le triste record de 12,2% en Europe.
Pour cela il n'y a pas de recette miracle, de madrigal magique, juste du bon sens. Le volume d'heures travaillées a diminué d’environ 10 % depuis 1950 tandis que la croissance a augmenté  de 1000 %. Tandis que la population active à augmenté de 23 %, creusant l’encart encore un peu plus entre l’offre et la demande de travail.

Personne ne peut plus prétendre que la croissance sera en mesure de créer de l’emploi suffisamment. Au contraire, la croissance est une impasse autant écologique — par la question de sa soutenabilité — que sociale, car elle créée moins d'emplois qu'elle n'en détruit. Les gains de productivité ont été multipliés par 4,5 en 40 ans et économisent du travail à l’échelle de la société tout entière. A partir des années 2000, les gains de productivité ont été certes plus faibles que la croissance, entrainant ainsi un regain temporaire du volume d’heures travaillées. Mais le constat est sans appel, globalement le volume d’heures travaillées décline malgré des rebonds périodiques et, surtout, jamais il n’a fait l’objet d’un rattrapage permettant de renouer avec le plein-emploi. Le processus va même aller en s’accélérant avec la révolution informatique et l’avènement d’une économie « collaborative » qui est en train de devenir la norme dans les entreprises et supprime des emplois chez les cols blancs, dans les banques, les assurances, les secteurs de la vente en gros et au détail, de la comptabilité, des centres d’appels, etc… Bref, nous produisons de plus en plus avec moins en moins de travail humain. Il faut donc répartir le travail socialement disponible sur la population active. Sans une baisse significative de la durée légale du temps de travail, nous ne pourrons jamais renouer avec le plein-emploi.

Deuxième pilier
Du temps libéré sur le travail pour travailler mieux.
Si la réduction du temps de travail est la réponse structurelle au chômage de masse, elle est aussi la meilleure réponse à la souffrance au travail. Travailler moins revient à travailler avec une meilleure récupération, moins d’usure physique et psychique liée à l’accélération des cadences et au surmenage intellectuel dû notamment aux nouvelles technologies. En 2011, L’OCDE a déclaré « la santé mentale comme le nouveau défit prioritaire pour le marché du travail ». Combien de temps allons-nous encore ignorer un problème de société majeur avec des répercussions importantes sur la santé, la perte de qualité, l’absentéisme, le turnover, le burn-out ?

Troisième pilier
Du temps pour permettre à toute personne, à tout âge, d’acquérir de nouvelles compétences pour s’adapter à un monde en perpétuelle évolution. Autrement dit, c’est du temps pour se former tout au long de sa vie et monter en compétence.
La réduction du temps de travail est donc le moyen de travailler tous, en améliorant nos performances économiques, tout en respectant la dignité humaine.

Quatrième pilier
C’est aussi du temps pour son développement personnel, pour l’éduction de ses enfants, son couple, ses amis, la culture, pour s’impliquer sur te terrain associatif. De nouvelles potentialités sociales seront alors à même de s’affirmer à travers la vie associative, le voyage, la gratuité des échanges de services. En se généralisant, elles représenteront une alternative crédible à l’économie marchande soumise au principe de rentabilité. Et c’est bien en proposant les conditions d’une alternative à l’économie marchande que nous pourrons résoudre la crise écologique et sociale. L’objectif est de sortir de la logique consumériste et du gaspillage des ressources naturelles qui ruine notre écosystème.
Par ailleurs, l’activité professionnelle ne sera plus le principal moteur d’intégration, mais complètera une démarche polyvalente dans la construction de son identité.
La retraite ne sera plus vécue comme l’achèvement d’une carrière mais comme le prolongement de nos activités bénévoles développées en dehors du travail.

Cinquième pilier
Et c’est peut-être le plus important car il détermine tout le reste. Le partage du temps de travail c’est du temps pour la démocratie. Il n’a pas de démocratie accomplie sans la disponibilité des citoyens qui doivent l’exercer. Sans temps libre, impossible de s’investir politiquement. Nous ne pouvons que déléguer à des politiciens professionnels. Alors, si nous voulons des citoyens impliqués et responsables, il est indispensable de libérer du temps sur le travail. Toute autre considération sur la démocratie réelle est hypocrite.
Pour mobiliser la population sur les grand enjeux de société, nous devons libérer du temps sur le travail, ce qui permettra aussi aux salariés de s’impliquer dans les prises décisions de leur conseil d’administration afin de développer l’économie responsable, sociale et solidaire à laquelle nous aspirons, véritable alternative au capitalisme actionnarial.

Pour toutes ces raisons, la diminution du temps de travail est une nécessité sociale, économique et écologique. Le facteur temps est au cœur du modèle de développement que nous devons construire. L’humanité n’a pas accompli d’incroyables performances productives pour rester esclave du travail, pour ajouter du travail au travail, mais bien pour se réapproprier un temps conquis sur le labeur. C’est ce que nous faisons depuis deux siècles. Aussi la question du travail demande t’elle d’être abordée avec un peu de courage et de sortir des discours convenus. L’hommes n’est pas fait pour travailler mais travaille à son émancipation.

Convergences

En France, tandis que nous investissions dans la défiscalisation des heures supplémentaires, un pays comme l’Allemagne a mis en place un dispositif appelé kurzarbeit, littéralement « travail court ». Le principe est simple : réduire en moyenne de 35 % le temps de travail dans les entreprises menacées par la crise. L’Agence pour l’emploi prend le relai et compense 67% la perte de salaire net.
Pour aller plus loin encore, un appel a été lancé, cette année, par de nombreux économistes, syndicalistes, universitaires, allemands pour mettre en place la semaine de 30 h et la principale branche de la DGB, Verdi, le plus gros syndicat du monde, demande aussi en Bade-Wurtemberg une baisse de la durée du travail à 30 heures. 

Les Etats-Unis de leur coté ont déployé un programme de partage du travail similaire dans 23 Etats. Comme le dit Dean Baker, codirecteur du Centre de Recherche d’Economie Politique de Washington : « Le principe est tellement simple que même un économiste peut le comprendre. Au lieu de payer les gens à ne rien faire — sous la forme d’indemnités de chômage —, on leur permet de conserver leur poste en travaillant moins ». Des projets de loi ont été déposés à la Chambre des représentants et au Sénat pour renforcer ces programmes et inciter les autres Etats à s’en inspirer. 

En Angleterre, la New Economics Foundation (NEF) préconise le passage à la semaine de 21h.

En Espagne, le président de la commission du budget a déclaré que « seule une semaine de 32h peut obliger les entreprises à créer des emplois ».

En Belgique, le nouveau Président du PS et les deux plus grands syndicats du pays font de la réduction collective du temps de travail un objectif fondamental.

La Confédération Européenne des Syndicats se prononce ouvertement pour la réduction du temps de travail. La CFDT en France est favorable aussi cette initiative.

En France, nous avons eu la chance en 1993 de tester avec succès la semaine de quatre jours dans plus de 400 entreprises. L’Insee en a tiré des estimations précises : 2 millions de personnes pourraient sortir du chômage et de la précarité, et c’est sans compter les milliers d’emplois créés autour de l’industrie du temps libre, « industrie » de l’avenir.

Le déploiement de la semaine de 4 jours pourrait se faire à coût nul pour l’Etat et les entreprises. Le montage macro-économique est prêt et une convergence au niveau Européen pourrait voir le jour. Une grande dynamique de rassemblement qui associerait tous les partisans du temps de travail, toutes sensibilités de gauche confondues, est possible. Déjà 10 000 militants au Parti socialiste ont voté pour la semaine de 4 jours en soutenant la motion « Oser, plus loin, plus vite » et nous sommes tous ici pour témoigner de notre mobilisation à travers l’Europe. Nous devons remettre à l’ordre du jour de nos gouvernements le partage du travail. L’avenir de l’Europe en dépend.

Frédéric Lutaud

Membre du Bureau national du Parti socialiste

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