lundi 24 février 2014

Jusqu’où confier le développement aux entreprises?


"Au nom de la rentabilité à court terme, on sacrifie le développement social et environnemental à plus long terme. Les investisseurs étrangers ont quatre responsabilités vis-à-vis du développement : la première est financière, au sens du partage de la valeur économique et du paiement de l’impôt. La deuxième touche à la création d’emploi : quelles conditions réserve-t-on aux salariés et aux sous-traitants ? La troisième est sociétale et environnementale : quelle est l’utilité sociale réelle du bien ou du service produit ?"

Entretiens croisés – La tendance est à faire de l’aide publique un levier pour favoriser l’investissement privé dans les pays en développement. Et pour en assurer les « performances sociales et environnementales ». Avec quels résultats ? Quelle conception de l’entreprise ? Des questions qui méritent débat.

Une part de l’aide publique au développement (APD) sert à financer le secteur privé. Quelle est sa contribution au développement durable des pays du Sud ?

Henry de Cazotte – Le volume de l’aide au développement [1] et les financements des institutions financières de développement demeurent aujourd’hui très marginaux par rapport aux flux d’investissements privés, sauf dans les pays très pauvres. Mais ces acteurs du développement servent de facilitateurs pour catalyser les investissements privés sur des projets à fort impact sur le développement, dans des secteurs et régions jugés souvent trop risqués par les investisseurs traditionnels. C’est une mission classique du développement, qui permet de soutenir la construction d’infrastructures, de ports, d’usines de transformation alimentaire… Et d’appuyer les entreprises qui participent au développement en créant de la valeur ajoutée, en créant de l’emploi, en distribuant des salaires, en payant des impôts ou en assurant des services essentiels pour les populations. Avec un principe : les projets privés rentables ne sont pas subventionnés ou très rarement. Ils ne coûtent donc rien au contribuable français. Le soutien de l’État passe par l’Agence française de développement (AFD), pivot de l’aide française, mais aussi à travers les institutions multilatérales.

La filiale de l’AFD dédiée au secteur privé, Proparco, finance des investissements dans les pays du Sud, dans des domaines clés pour le développement : infrastructures, agro-industrie, accès aux services financiers… Outre les grands projets, le financement des petites et moyennes entreprises représente une grande partie de son activité, le plus souvent à travers des institutions financières locales. En effet, le développement d’une infrastructure financière solide et sophistiquée en matière de services offerts est une condition nécessaire pour favoriser la croissance durable du secteur privé. Les institutions financières constituent aussi de puissants relais pour diffuser auprès d’un grand nombre d’acteurs économiques des standards environnementaux et sociaux élevés.

Sur tous les projets, nous évaluons au préalable les résultats attendus en matière de développement économique et social, de respect des droits humains, d’amélioration des conditions de travail, de mise à niveau environnementale en nous appuyant sur les meilleurs standards internationaux. Par la suite, nous évaluons si ces résultats ont été atteints et nous nous assurons que les sociétés financées améliorent leurs performances environnementales et sociales. Concrètement, une entreprise qui a recours à l’AFD sait qu’elle est attendue sur ces aspects, voire qu’elle devra se mettre aux normes (pour sa gestion des déchets, son efficacité énergétique…). En parallèle, l’AFD mène aussi une activité de financement de très petites entreprises et de renforcement des capacités. Elle apporte, par ailleurs, un appui technique aux intermédiaires financiers locaux (banques de développement, banques commerciales, sociétés de leasing et de crédit-bail, institutions de micro-finance), pour monter en compétence dans l’analyse des critères sociaux et environnementaux demandés aux petites entreprises locales.

Cécile Renouard – La gravité des enjeux actuels devrait inviter les entreprises à repenser vraiment leur développement économique à la lumière des enjeux écologiques et énergétiques. Or, au nom de la rentabilité à court terme, on sacrifie le développement social et environnemental à plus long terme. Les investisseurs étrangers ont quatre responsabilités vis-à-vis du développement : la première est financière, au sens du partage de la valeur économique et du paiement de l’impôt. La deuxième touche à la création d’emploi : quelles conditions réserve-t-on aux salariés et aux sous-traitants ? La troisième est sociétale et environnementale : quelle est l’utilité sociale réelle du bien ou du service produit ? Quels sont les effets directs et indirects de l’activité sur l’environnement humain et naturel ? La mesure actuelle des externalités négatives est trop faible. C’est une des grandes faiblesses de la théorie économique. Si Adam Smith, dans certains écrits, luttait contre l’esclavage, il ne faisait pas le lien entre la croissance britannique et le travail des esclaves dans les plantations de tabac en Amérique.

Le principe moral du « double effet » (saint Thomas d’Aquin) permet de réfléchir à cette responsabilité sociétale. Pour une entreprise, il consiste, avant le démarrage d’une activité, à en cartographier les bienfaits et méfaits potentiels. Si les méfaits sont disproportionnés, il faut prendre les moyens de les limiter. Simple dans son énoncé, ce principe est plus complexe dans sa mise en œuvre. Et les critères des investissements socialement responsables sont insuffisants. Dans le cas des pétroliers au Nigeria, les externalités concernent toutes les sphères de l’activité humaine, sans compter l’environnement naturel. Quels types d’actions entreprendre ? Avec quels acteurs ? Il est illusoire de penser que l’entreprise peut, seule, compenser l’ensemble des externalités négatives, d’où le rôle important des États et de la société civile. Il s’agit de préciser l’idée de « ne pas nuire ». La contribution de l’entreprise au développement économique local relève aussi de sa responsabilité sociétale : comment met-elle des compétences au service des populations ? Il faut éviter autant que possible la philanthropie : elle peut avoir des effets néfastes, notamment quand l’entreprise développe des projets dans des domaines éloignés de ses champs de compétence, avec des risques d’instrumentalisation, de luttes locales de pouvoir, etc.

La quatrième responsabilité est d’ordre politique. Comment l’entreprise contribue-t-elle à la gestion et à la préservation des biens communs mondiaux ? Cela interroge également sa gouvernance, ses grilles de rémunération… La notion de « gouvernement partagé de l’entreprise » montre que les décisions peuvent aussi venir des salariés. Il faudrait renforcer le pouvoir des dirigeants, notamment ceux des filiales, dont le rôle se cantonne trop souvent à de la représentation. Leur marge de manœuvre est très réduite. Sinon, pourquoi ce qu’ils nous disent hors micro serait-il si différent de la parole officielle de leurs entreprises ?

L’enfer serait-il pavé de bonnes intentions ?

H. de Cazotte – Je serais moins réservé. Le foisonnement d’initiatives portées par les entreprises pour un développement inclusif, les démarches « BOP » (bottom of the pyramid), les fonds d’investissement responsables, etc., témoignent d’une vision de long terme : les entreprises ont besoin de travailler dans un pays où elles peuvent développer leur activité, où les gens sont formés, où l’environnement est porteur à long terme, car une entreprise ne peut prospérer dans la violence et la misère. Quant à la philanthropie (« do good », disent les Anglo-Saxons), elle devient une industrie (Fondation Gates). Ces initiatives ont peut-être des effets pervers, mais les enjeux sont tels que chacun doit jouer son rôle dans ce développement mondialisé. Soyons pragmatiques ! Il faut nouer une alliance entre efforts publics et privés autour du développement, afin que localement les gens en tirent des bénéfices (en termes d’agriculture, de santé, d’éducation, d’accès à l’eau potable…) et que l’entreprise y trouve son compte en termes d’utilité : si elle ne fabrique des lunettes que pour les 10 % les plus riches, quel sera son impact ? Combien d’écoliers en bénéficieront ?

C. Renouard – Heureusement que le secteur privé s’interroge sur la façon dont il contribue au développement ! Dans les pays du Sud, des entreprises acceptent de vendre moins cher en se disant qu’elles vendront davantage. Les objectifs peuvent être sincères, mais la pratique poser question. Au Bangladesh, Grameen Danone[2] souhaitait initialement développer plusieurs dizaines d’usines pour produire des yaourts enrichis en micronutriments à destination des plus pauvres. Or la deuxième usine peine à voir le jour. Pour que ces yaourts représentent un réel apport nutritionnel, il faudrait en manger très régulièrement… Mais le yaourt est-il bien le produit dont ont besoin ces populations ? S’interroger sur l’utilité réelle de l’activité économique pour les intérêts à long terme des populations oblige à une réflexion avec d’autres, les pouvoirs publics notamment. Il faut repenser, aussi, la communication des entreprises. Dans le cas du projet de recyclage conçu par Danone au Mexique, l’idée de boire de l’eau, symbole de pureté, dans une bouteille recyclée ne va pas de soi ! L’entreprise seule ne peut contribuer à améliorer les conditions de vie de telle ou telle population pauvre. De ce point de vue, les investissements dans la durée d’entreprises comme Danone en matière d’innovation sociale et de « co-création » de valeur sont très précieux.

H. de Cazotte – Il est nécessaire que les entreprises travaillent avec la société civile, la municipalité, les leaders locaux, les entreprises locales… Beaucoup de cadres juridiques nouveaux apparaissent : on ne peut plus opposer monde public et monde privé, monde du capitalisme international et entreprises locales, car les enjeux globaux sont devenus trop importants et ne peuvent être compartimentés… Le secrétaire général de l’Onu demande au secteur privé mondial de l’aider à résoudre les problèmes (notamment pour la lutte contre le changement climatique) et de contribuer au développement durable universel ; des entreprises s’allient à des ONG, à des collectivités… Ce travail collectif ouvre une autre dynamique. Par exemple, pour aller vers un monde plus sobre, où l’on consomme moins par unité, il faut beaucoup d’imagination : inventer de nouvelles façons de construire et de produire, des solutions qui consomment moins d’énergie. Mais pour aboutir à des solutions viables, il faut travailler ensemble, avec les entrepreneurs. L’AFD veut se situer au centre des questions de développement, l’effort public étant dans l’accompagnement de ces transformations sociales, en matière d’habitat, de santé, d’éducation. Sa mission sera alors d’inciter, de  favoriser les effets de levier pour permettre de créer du nouveau.

Si l’Onu et des ONG font appel aux entreprises, n’est-ce pas le signe d’un rapport de force déséquilibré ? Dans un monde où bien des États sont en position de faiblesse face aux investisseurs, est-ce aux bailleurs de se substituer aux autorités du pays pour s’assurer de la valeur sociale ajoutée des investissements ?

H. de Cazotte – Les États en développement sont adultes ! Ils ne peuvent se suffire d’une solidarité compassionnelle ni de philanthropie. Ils veulent participer à une mondialisation active. Leurs élites sont mondialisées : celles du Sénégal ou du Cameroun naviguent entre Shanghai, Londres, New York, Paris. En témoigne le projet M-PESA de « mobile banking » développé par des chercheurs kényans à l’université de Nairobi. Je voudrais poser un regard nouveau sur notre métier de l’« aide » : il s’agit d’une responsabilité où tous les acteurs, ensemble et moins dans une perspective Nord-Sud, cherchent à résoudre des problèmes communs, ceux de la pauvreté et de l’emploi, ceux du climat et de la soutenabilité environnementale, bien entendu chacun à la mesure de ses capacités. Le Chili a dépassé le Portugal au niveau de l’IDH [indice de développement humain] ! Si l’on se dit : les pays en développement souhaitent offrir une qualité de vie, des standards minimum, il faut qu’ils aient accès aux mêmes produits, aux mêmes services. Qui va leur fournir ? En grande partie les entreprises, en sus du rôle que doivent jouer des États régulateurs et des systèmes de gouvernance responsable ! Et les institutions internationales publiques sont là pour contribuer à ces nouveaux échanges et à cette nouvelle organisation du monde.

« L’enjeu, c’est que les élites du Nord et du Sud prennent en charge leurs responsabilités vis-à-vis des populations des pays dans lesquels elles vivent. » C. Renouard

C. Renouard – L’enjeu, c’est que les élites du Nord et du Sud prennent en charge leurs responsabilités vis-à-vis des populations des pays dans lesquels elles vivent. Il subsiste des rapports de force extrêmement puissants. Des dirigeants d’entreprises le reconnaissent : pour eux, c’est de régulation, d’harmonisation juridique internationale dont nous avons besoin… Mais jamais ils ne le disent en public ! En Inde, dans l’État du Tamil Nadu, les pouvoirs publics ont l’impression qu’en attirant des constructeurs automobiles, ou Michelin, ils vont permettre aux classes moyennes d’acheter des voitures. En même temps, ils disent vouloir augmenter la proportion de transport en commun par rapport à la voiture individuelle. C’est schizophrénique ! Ils pensent le développement par la croissance tout en reconnaissant que ce n’est pas tenable. Et ils attendent que l’exemple vienne d’abord des pays du Nord.

Est-ce d’abord aux entreprises de répondre aux besoins des populations ? En Inde, c’est à l’État que les militants ont demandé (et obtenu, contre le lobby agro-industriel) de rendre effectif le droit à l’alimentation des enfants…

C. Renouard – Je suis pour le renforcement de l’État quand il y a des gouvernements élus. Mais attention à ne pas être instrumentalisé, comme c’est le cas dans les bidonvilles en Inde, où l’on vote pour tel ou tel qui a proposé un avantage en nature. Les ambiguïtés de l’action du secteur privé peuvent poser d’énormes problèmes. Regardons les secteurs qui ont une réelle utilité sociale. En quoi de grosses entreprises contribuent-elles au développement, quand leur but est de conquérir un milliard de consommateurs en plus, aux dépens de structures locales produisant des biens et services de qualité ? Certains se défendent en avançant que « les pauvres ont droit d’avoir accès à des biens de marque » ! Unilever, il y a une dizaine d’années, réfléchissait à la mécanisation de l’industrie du thé au Kenya, qui représentait environ 20 000 cueilleurs, soit 100 000 ayants droit. Un véritable drame pour ces familles ! Il a finalement été décidé, au niveau de l’industrie du thé dans son ensemble en lien avec l’ONG Rainforest Alliance, d’éviter une mécanisation qui entraînait une perte de qualité et de produire du thé labellisé. Ce dispositif est un bel exemple de recherche d’une filière plus juste.

En 2011, les entreprises étrangères ont investi 472 milliards de dollars dans les pays en développement, mais rapatrié 420 milliards de dollars de bénéfices[3]. Faut-il miser sur elles pour apporter des investissements suffisants et pérennes ?

H. de Cazotte – Une entreprise qui rapatrie des bénéfices a peut-être créé encore plus de valeur ajoutée ! Il faut s’attacher à mesurer comment cette valeur est répartie, si le niveau des salaires est décent, si l’entreprise contribue à la formation de ses salariés et, bien sûr, si les impôts dus sont payés. Il faut renforcer la capacité des États des pays en développement à établir des bases fiscales aussi larges que possible, en s’assurant que l’ensemble des agents économiques paient leurs impôts. Nous réfléchissons sur la transparence des marges, sur les chaînes de valeur, notamment dans les pays dépendant des ressources extractives, où l’on exporte parfois les bénéfices dans des paradis fiscaux pour éviter la pression fiscale. La société civile internationale interpelle nos politiques à ce sujet. Différentes initiatives, au G20, mais aussi l’Initiative de transparence pour les industries extractives, poussent les entreprises à payer des impôts dans les pays où elles produisent. Mais l’économie n’est pas uniquement le fait de ces méga-entreprises : le passage d’un grand nombre de petites entreprises à l’économie formelle est aussi un enjeu majeur pour créer une base fiscale large.

« Il faut renforcer la capacité des États des pays en développement à établir des bases fiscales aussi larges que possible. » H. de Cazotte

C. Renouard – En matière fiscale, on peut d’abord se demander si les entreprises respectent la loi. Il y a beaucoup de contournements. Des règles de transparence, contraignantes ou non, sont progressivement adoptées, témoignant d’une prise de conscience : la loi américaine Dodd-Frank[4] a fini par faire bouger l’Union européenne. Au-delà, c’est la légitimité des dispositifs comptables qui est en jeu, quand ils permettent de réduire le bénéfice imposable des filiales localisées dans les pays du Sud (à travers notamment les prix de transfert sur les immatériels). La légalité des pratiques d’une entreprise est loin d’assurer sa contribution réelle au développement local.

L’AFD ne pourrait-elle pas conditionner son soutien aux acteurs privés à des règles de transparence sur la localisation des profits ? Et, comme la Banque mondiale, exclure de ses appels d’offres un groupe condamné deux fois pour corruption dans les cinq années précédentes ?

H. de Cazotte – L’intérêt du pays est pris en compte dans nos projets et la transparence est intégrée dans tous nos cadres juridiques. Dans le secteur minier notamment, nous nous attachons à promouvoir la transparence et à nous assurer d’un partage équitable des revenus entre partenaires publics et privés. En revanche, le groupe AFD applique les procédures de diligence conformément aux normes européennes de lutte anti-blanchiment. Si une entreprise a été plusieurs fois condamnée (et pas seulement suspectée) au cours des dernières années, il est probable que nous l’écarterons dès l’instruction du projet pour éviter tout risque de fraude. De même, nous ne travaillons pas dans les pays jugés non conformes par le Gafi [Groupe d’action financière internationale].

Quel est le but recherché quand Proparco investit dans une holding fondée par la famille Pinault aux Îles Caïman ?

H. de Cazotte – Proparco investit essentiellement en direct ou via des banques pour le financement de PME locales. Les fonds d’investissement ne représentent que 5 % de son bilan. Tout engagement dans un tel fonds suppose un accord préalable sur les secteurs, les critères d’intervention et de sélection, une présence aux instances de décision du fonds et un reporting régulier sur les investissements. Le fait que des flux d’investissements privés s’orientent vers les pays en développement est positif et doit être encouragé. L’immatriculation des fonds dans des territoires comme les Îles Caïman – qui n’est pas une juridiction non-coopérative telle que définie par l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] – répond à un souci de transparence fiscale. Comme le Luxembourg ou l’Île Maurice, les Îles Caïman proposent un cadre juridique permettant aux fonds d’investissement de ne pas être imposés plusieurs fois sur un même flux de revenus. Le cadre juridique facilite aussi l’administration et la gestion de tels fonds. Mais lorsqu’un pays figure sur la liste des juridictions non-coopératives établies par l’OCDE, nous n’y travaillons pas[5] via des fonds ou des holdings.

Existe-t-il des voies de recours auprès de l’AFD pour les populations affectées par ses projets ? Pourrait-elle suspendre, par exemple, son soutien à Socapalm[6], dont les impacts sociaux et environnementaux négatifs au Cameroun ont été reconnus, en 2013, par le point de contact français de l’OCDE ?

H. de Cazotte – À l’AFD, nous avons une « boîte aux lettres » pour les requêtes et nos agences locales sont au contact permanent des bénéficiaires. La Banque mondiale ou la Banque européenne d’investissement disposent de même de bons dispositifs. La pression mondiale pour une gouvernance participative et la transparence de l’aide est plus forte qu’auparavant et ceci est positif. D’où le site que le ministère des Affaires étrangères a lancé sur l’aide au Mali, et bientôt dans vingt-deux pays prioritaires. Par ailleurs, en matière environnementale et sociale, nous mettons en place des plans d’action qui comprennent souvent des engagements contractuels (notamment une obligation de reporting). Le non-respect du contrat pourrait conduire à suspendre notre engagement.

En apportant son soutien à Socapalm, Proparco avait pour objectif de soutenir le développement d’une entreprise de premier plan dans l’agro-industrie au Cameroun, ayant des impacts majeurs en matière de création d’emploi, de génération de revenus et de valorisation des ressources agricoles. Nous avons aussi, en tant que bailleur, un rôle d’accompagnement, pour faire progresser les performances environnementales et sociales de nos partenaires.

C. Renouard – Aux États-Unis, l’application de l’Alien Tort Claims Act, de 1789, permet à des étrangers de porter plainte devant des tribunaux américains pour violation des droits de l’homme dans leur pays. La procédure a été utilisée à peu près au même moment contre Unocal par des plaignants birmans et contre Total devant le tribunal de Nanterre pour complicité des entreprises vis-à-vis du travail forcé. Les deux cas ont abouti sur un accord à l’amiable[7]. Est-il acceptable, en France, que le procureur de la République puisse arrêter la procédure pénale quand les intérêts du pays sont en jeu ? Dans les cas de violations avérées des droits de l’homme mettant en cause des individus ou des sociétés françaises, on devrait rendre possible un droit de recours devant les tribunaux.

La pertinence d’un projet se mesure aussi par son impact à moyen terme sur le lien social. Souvent, les entreprises ne s’en donnent pas les moyens. L’incitation ne suffit pas : il faut des réglementations contraignantes ! Même si, par peur du risque de réputation, l’on prête désormais attention à des choses que l’on négligeait jusqu’ici.

Propos recueillis par Jean Merckaert et Aurore Chaillou en octobre 2013.


Notes :
[1] L’aide publique au développement française représentait 9,3 milliards d’euros en 2011, soit 0,46 % du revenu national brut (source : site du ministère des Affaires étrangères). Quant aux flux annuels d’investissements sortant de France, ils ont représenté 28 milliards d’euros en 2012 et 35 milliards d’euros en 2011 (source : Banque de France). L’ensemble des notes de bas de page est du fait de la rédaction.

[2] Projet alliant le groupe Danone et la Grameen Bank.

[3] Source : Development Initiatives, « Investments to End Poverty », rapport, devinit.org, septembre 2013.

[4] Cette loi, promulguée en juillet 2010, entérine la revendication de la campagne « Publiez ce que vous payez », obligeant les sociétés minières, gazières et pétrolières cotées à Wall Street à publier les versements effectués aux pouvoirs publics dans tous les pays d’extraction. L’UE a dupliqué la mesure dans une directive de juin 2013.

[5] Cet entretien a eu lieu avant la publication, le 21 novembre 2013, de la liste de l’OCDE classant le Luxembourg au rang de juridiction non-coopérative.

[6] Société camerounaise spécialisée dans les plantations d’huile de palme, contrôlée indirectement par le groupe Bolloré (lequel est aussi actionnaire minoritaire de Proparco). Sur ce sujet, lire l’article de Samuel Nguiffo dans ce dossier.


[7] Cf. William Bourdon, Face aux crimes du marché. Quelles armes juridiques pour les citoyens ?, La Découverte, 2010.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vos réactions nous intéressent…