dimanche 16 février 2014

Municipales : l’abstention fait peur aux socialistes


Ministres, députés et candidats locaux du PS s’inquiètent d’une flambée de l’abstention aux municipales. Elle pourrait transformer le scrutin des 23 et 30 mars en défaite sévère.

Le ton a changé. Ces dernières semaines, les socialistes étaient encore nombreux à croire à un miracle aux municipales et à parier sur des pertes de villes limitées et compensées par quelques gains symboliques, comme Marseille. Mais depuis dix jours, la panique monte. Après les critiques du « pacte de responsabilité » de François Hollande, les derniers bugs au sommet de l’État, avec l’abandon de la loi famille et l’imbroglio sur le gel de l’avancement des fonctionnaires, leur font craindre une abstention massive le jour du vote.

Les témoignages recueillis (voir notre boîte noire) dans différentes régions et dans des villes de tailles diverses sont quasiment unanimes : l’image des maires et des équipes sortantes est souvent positive, les réunions publiques font le plein, mais de nombreux socialistes craignent que cela ne suffise plus à éviter une lourde défaite. La faute à l’abstention qui pourrait être massive et rebattre les cartes dans bien des villes. « Il y aura de l’abstention à gauche, c’est évident, assure le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, proche de François Hollande. Mais pour le reste, je suis bien incapable de dire ce qui va se passer. »

« Depuis une dizaine de jours, il y a une inflexion nette, constate le député PS Philippe Baumel, candidat en septième place à Breuil (Saône-et-Loire), la ville de 4 000 habitants dont il a été maire avant d’être élu député en juin 2012. Un poids critique est tombé dans cette campagne municipale : les bégaiements sur la loi famille ont atteint le cœur de l’électorat de gauche, qui doute fortement de la volonté du gouvernement d’aller au bout des choses. Les paparazzades de l’affaire Gayet ont atteint l’image du président. »

« Au-delà de l’image souvent très bonne des équipes municipales sortantes, la gauche risque d’être pénalisée par la désillusion de l’électorat populaire sur les attentes de résultats économiques et sociaux. Mais on a aussi troublé notre électorat de classe moyenne et de classe supérieure qui considère que la gauche est aussi là pour faire avancer la société », en référence à la loi famille, abonde Bernard Roman, député du Nord.

Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS à l’Assemblée, élu de l’Essonne, fait le même constat : « Depuis des mois, notre électorat est déstructuré sociologiquement. Et entre la loi famille et le débat sur le gel de l’avancement des fonctionnaires, on ne l’a pas vraiment brossé dans le sens du poil ces derniers temps. On lui donne même des contre-gages ! Dans les réseaux militants, associatifs, bénévoles autour du PS, cela pèse. Et comme l’électorat populaire est déjà parti... »

« Les questions locales continuent de prédominer, mais depuis quelques semaines, les interpellations sur la politique nationale sont un peu plus régulières. Dans l’électorat de gauche, l’impatience, voire la déception, s’expriment de plus en plus », témoigne le socialiste Mathieu Klein, en campagne pour ravir la mairie de Nancy (Meurthe-et-Moselle) après trente ans de règne du centriste André Rossinot.
« Je ne sens pas de raidissement, mais c’est vrai que les sujets nationaux émergent dans les conversations, raconte Olivier Dussopt, député et maire PS d’Annonay (Ardèche), candidat à sa réélection. La plupart du temps, les gens font la différence entre le national et le local. Mais je ne sais pas ce que pensent ceux qui ne me parlent pas ! Dans un quartier difficile, j’ai aussi été témoin pour la première fois de quelques violentes réactions antisystème, pro-Dieudonné. »

À Reims, où le PS est en plus mauvaise posture pour garder la mairie prise à la droite en 2008, on s’inquiète. « Le vote sanction se renforce. Le fait que le gouvernement ne soit pas très populaire, cela compte. (...) Je crains qu’une partie de notre électorat ne se déplace pas », a prévenu dans le Journal du dimanche la maire sortante, Adeline Hazan. « En janvier, on ne sentait pas le poids du contexte national. Désormais, c’est bien là, explique Nicolas Marandon, premier fédéral du PS de la Marne et directeur de campagne d’Adeline Hazan. Les gens nous disent ne pas comprendre pourquoi ça tire dans un sens, puis dans l’autre. Sur la fiscalité, on prend cher, de la part des petits patrons comme des habitants des quartiers populaires. Il y a le chômage qui ne baisse pas, la loi famille. Ou récemment les salaires des fonctionnaires, on n’avait pas besoin de ça ! »

Même à Tulle (Corrèze), la ville que François Hollande a dirigée, son successeur Bernard Combes, également conseiller à l’Élysée, s’inquiète : « À ma permanence, j’ai entendu des gens qui sont venus me dire : “Si c’est pour geler nos salaires, alors on va geler le bulletin de vote !” Sur la loi famille, d’autres m’ont dit : “Cette loi nous aurait aidés” ou bien “J’ai du mal à avoir un droit de visite pour mes petits-enfants”. Certains ne comprennent pas que 80 000 manifestants ultra-orthodoxes fassent la politique familiale dans une société en mouvement. » Mais « ils me disent aussi qu’ils aimeraient me réélire », précise Combes, pas franchement menacé par la droite.

La situation est assez similaire à Rennes, une grande ville détenue par la gauche depuis 1977. Le PS, qui présente pour la première fois une jeune députée, Nathalie Appéré, est encore en position de force. Élue dans un quartier populaire de la ville, sa camarade socialiste Marie-Anne Chapdelaine voit surtout des « gens qui se concentrent sur les municipales », et qui veulent voter à gauche. Mais elle aussi a été rattrapée sur le terrain sur le gel de l'avancement des fonctionnaires, annoncé par Vincent Peillon, démenti, puis confirmé, puis démenti par Jean-Marc Ayrault, et par l'abandon de la loi famille. Vendredi, une de ses électrices l'a appelée afin de lui dire qu'elle s'abstiendrait pour ces deux raisons aux municipales. « Il va y avoir de l'abstention. Mais cela sera marginal, croit Chapdelaine. Moi, je vois aussi des gens de gauche qui vont se tourner vers l'extrême gauche. » « Pour l'électorat populaire, il faut aussi qu'on explique mieux notre politique. Par exemple qu'on dise qu'on ne va pas donner un blanc-seing au patronat avec le pacte de responsabilité », ajoute-t-elle. 

Des « socialistes, dehors ! » dans les cages d'escalier

À Solférino, le Monsieur élections du PS, le député Christophe Borgel, qui reçoit de nombreux appels des candidats en campagne, confirme : « La fin de semaine dernière n’a pas été bonne. L’ambiance s’est dégradée, dans tous les milieux sociaux. Le pataquès de la loi famille a remis 100 balles dans la machine sur le mode “on est des baltringues”. Malgré les bons retours en porte-à-porte et les sondages locaux parfois excellents, cette ambiance générale peut conduire à une abstention qu’on peut ne pas voir venir. »

Bon connaisseur de la carte électorale et de l’historique des municipales, il fait le raisonnement suivant : depuis 1977, il y a plus de 100 villes de plus de 10 000 habitants qui basculent à gauche ou à droite. La tendance est même plus forte depuis les trois derniers scrutins. En 2001, la gauche en avait perdu 101 et gagné 45. En 2008, elle en avait conquis 112, pour 30 perdues

Cette fois, le mouvement risque d’être plus ample. D’abord parce que le PS et ses alliés détiennent un nombre impressionnant de villes moyennes et de grandes villes. Ensuite parce qu’ils sont au pouvoir. Enfin parce que l’électorat de François Hollande est déboussolé, voire déstructuré, entre les ouvriers qui souffrent massivement du chômage, les classes moyennes agacées par les impôts et déçues par les reculs sociétaux, les quartiers populaires, qui se sentent toujours abandonnés, et les jeunes de gauche qui étaient très attachés au droit de vote des étrangers et aux mesures contre le contrôle au faciès.

Dans le meilleur des scénarios (lire notre article), la gauche obtiendrait un « 2001 réduit », soit 150 villes de plus de 10 000 habitants qui basculent, dont 80 vers la droite et 30 vers la gauche. Si Marseille en fait partie, « on pourra dire qu’on a bien travaillé », sourit Christophe Borgel. Le pire cauchemar du PS serait 150 villes perdues, pour 50 villes gagnées, 4 villes pour le FN et Marseille qui reste à droite. Une débâcle qui rappellerait celle de 1983.

Élus et candidats interrogés estiment qu’une partie de leurs sympathisants peut aller glisser un bulletin Front de gauche ou extrême gauche dans l’urne, mais dans des proportions limitées. Ils ne croient pas tellement à une « vague bleue » pour l’UMP. La droite, disent-ils, ne fait pas franchement rêver les électeurs. L’image donnée par le principal parti d’opposition ces derniers mois ne peut que les conforter. « La vague bleue, je n’y ai jamais cru. Et je n’ai toujours pas l’impression que l’UMP soit en position d’être l’incarnation de l’alternative locale », analyse Stéphane Le Foll.

« Je ne sens nulle part un appétit féroce pour la droite républicaine. Il y a même une certaine démobilisation de leur côté : dans certaines villes de Saône-et-Loire, la droite n’arrive pas à boucler des listes », témoigne le député Philippe Baumel. D’autant que l’UMP est concurrencée parfois localement par des listes « très à droite, pas étiquetées FN mais qui en sont très proches ». « Dans les quartiers populaires d’Annonay, l’ancien maire de droite est bien plus mal reçu que moi », explique Olivier Dussopt.  

Les socialistes cauchemardent encore de leur débâcle législative de 1993. Ils ne sentent pas encore le même climat : leur électorat est fatigué, déçu, parfois consterné, mais pas dans cet état de colère violente qui pourrait profiter à la droite.
À l’époque, se souvient le ministre du travail Michel Sapin, les sympathisants changeaient de trottoir ou les insultaient. « Jean Glavany (député, ancien ministre) raconte que quand il montait dans l’avion, les gens le sifflaient ! Là, ce n’est pas comme ça, ils sont sympas », témoigne Christophe Borgel.

« Quand ils parlent du national, en fait, ils me plaignent », souffle, sous couvert d’anonymat, une députée socialiste. Olivier Dussopt rapporte tout de même que« certains élus de grandes villes ont entendu des “socialistes dehors !” dans les cages d’escalier le week-end dernier ».

Les socialistes craignent d’autant plus une démobilisation de leur électorat qu’ils se méfient de l’effet déformant des sondages. Pour l’instant, dans des villes que la droite espérait accrocher comme Toulouse ou Quimper, ils sont favorables aux maires sortants. Mais les instituts mesurent très mal l’abstention. Des dernières enquêtes, ressort un taux qui va de 10 à 20 %. Aux municipales de 2008 et de 2001, 38 % des électeurs s’étaient abstenus dans les villes de plus de 3 500 habitants.

« Il faut dire que le national ne donne pas très envie à un électeur de gauche d’aller voter et qu’il donne très envie à un électeur de droite d’y aller », résume Borgel. Au PS, c’est l’heure de la mobilisation générale : les candidats sont priés d’investir massivement le terrain et de multiplier le porte-à-porte pour aller chercher leurs électeurs.
Face à leurs électeurs, certains n’hésitent pas à dire leurs gros doutes sur la politique du gouvernement, afin d’enrayer la machine à perdre et de se déconnecter le plus possible de la politique nationale. « Moi, je ne manie pas la langue de bois, explique Philippe Doucet, député et maire sortant d’Argenteuil (Val-d’Oise), ouvertement critique à l’égard du gouvernement. Quand on me parle des rythmes scolaires, je ne cache pas que pour nous c’est la galère ! » Des aveux de sincérité peut-être utiles en temps de campagne municipale, mais qui risquent de nourrir le vote sanction aux européennes de mai. 


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