dimanche 16 février 2014

Oser réveiller la gauche

Tribune libre
Par Frédéric Lutaud
membre du Bureau national du Parti socialiste pour la motion 4

La spécificité de notre motion c'est de relever les grands défis du XXIe siècle dans un monde solidaire où l’homme n’est pas esclave du travail et de la production.

La « politique de l’offre » de François Hollande a ranimé un débat que l’on croyait enterré à gauche. La baisse substantielle du « coût du travail » va t’elle créer de l’emploi et quelles contreparties exiger ? La gauche se laissera t’elle enfermer dans un débat stérile ?

10 milliards d’exonération de cotisations familiales[1] ne reconstitueront pas les marges des PME. Même en accordant les 100 milliards d’allègements de cotisations demandés par le MEDEF, on réduirait cette fois le coût de production des entreprises de 3,5 %. Soit une misère par rapport aux variations des prix de l’énergie ou du taux de change de l’euro. Quant à la surenchère dans la baisse du « coût du travail », elle ne peut que dégrader la conjoncture internationale. Nos partenaires économiques déjà frappés par la crise seront obligés de répliquer. Une fuite en avant qui prive tous les jours un peu plus l’Europe de ses débouchés en réduisant la demande intérieure. Cette politique court-termiste est largement désavouée par les travaux récents du FMI, l’OCDE et du BIT, au point de se voir qualifiée par le prix Nobel d’économie Paul Kugman, de « scandale français ». Depuis le temps que nous accordons des exonérations au patronat nous n’avons récolté que le chômage de masse.


Au Parti socialiste, nombreux sont ceux qui s’élèvent contre la politique économique du gouvernement. Un texte unitaire a rassemblé la signature de l’UMA, Maintenant la Gauche et Oser Plus Loin Plus Vite pour demander un changement de cap. Au Séminaire du Parti socialiste sur les « contreparties », Jean-Marc Ayrault a pu prendre la mesure de la contestation. Aucune intervention ne lui était particulièrement favorable. A juste titre, beaucoup considèrent la baisse « du coût du travail » comme une mesure libérale. La gauche du Parti socialiste lui oppose traditionnellement « la relance par la demande ». Le problème n’étant pas « les charges » mais « les marges » malmenées par la montée en puissance du « coût du capital » qui avantage la rente et les dividendes versés aux actionnaires[2]. Le rééquilibrage de la part des salaires relancera la consommation qui rempliera les carnets de commandes des entreprises. 

La gauche du Parti socialiste ne délaisse pas pour autant le redressement productif de notre appareil industriel en misant sur la compétitivité « hors coût ». Mais soyons lucides. Le temps des grandes concentrations industrielles est révolu en Europe. C’est dans de petites unités hautement productives et créatrices de valeur ajoutée que se fabriqueront les biens industriels français de demain. Des techniciens et ingénieurs piloteront la mise en œuvre des techniques et des outils automatisés, faisant de moins en moins appel à la main-d’œuvre généraliste. Les conséquences sont déjà là : 65% des pertes d’emplois industriels depuis 2000 sont dus aux gains de productivité[3]. Depuis un siècle, les nouveaux emplois créés ne compensent pas les emplois détruits. De plus, on évalue à millions de personnes le sureffectif salarial des entreprises et nous ne sommes qu’à 70% de nos capacités de production. La question du chômage reste entière et la consommation de masse ne peut représenter notre horizon.

Une crise sociale et écologique

Pour sortir de la crise, la gauche doit rompre avec le schéma productiviste. Améliorer le pouvoir d’achat des classes populaires par la justice fiscale pour satisfaire de nombreux besoins sociaux est un préalable. Mais il doit aussi permettre d’anticiper une montée en gamme de la production pour une consommation responsable. La production de demain sera durable, recyclable, évolutive, bio, équitable et sobre énergétiquement.

En proposant des biens et services de meilleure qualité, pour un confort équivalent, voire supérieur, nous consommerons tous globalement moins. C’est l‘impératif économique de notre époque. Car nous sommes à 150% au dessus de la capacité maximum de la Terre à supporter nos activités[4]. Aucune percée technologique majeure n’est en mesure actuellement de soulager la pression sur les ressources naturelles tout en augmentant la consommation de masse. La croissance continuelle de la production matérielle n’est pas soutenable.

Une impasse structurelle

Le moteur séculaire de l’économie marchande repose sur l’accumulation des profits engendrés par l’accélération des cycles de production et l’obsolescence programmée des biens de consommation. La publicité et la mode restent deux puissants vecteurs de surconsommation qui structurent l’acte d’achat. Les stratégies marketing des grands groupes sont tournées vers une logique de rentabilité maximum et le taux de croissance détermine les grands choix industriels. Aujourd’hui, les capitaines d’industrie sont les obligés d’un capitalisme actionnarial qui a imprimé sa marque sur l’ensemble de notre modèle économique. Alors que la part des dividendes se situait autour de 12 % en 1980, celle-ci a grimpé à près de 30 % aujourd’hui. Et cela ne concerne pas uniquement les groupes du CAC40. Sans mesure contraignante plafonnant les dividendes, rien ne mettra fin cette propension à la concentration de la richesse. Aucune fiscalité écologique ne contiendra durablement la soif de profit des capitaux privés. Les banques françaises comme leurs homologues états-uniennes, chinoises et britanniques, sont déjà championnes en matière d’investissements ultra polluants[5].

Autrement dit, les intérêts particuliers de la finance ne sauraient répondre efficacement aux intérêts généraux de la transition écologique, la « compétitivité » est par définition inadaptée aux principes de coopération sociale d’une économie durable et l’austérité budgétaire compromet tout développement à la mesure de la crise.

Le système monétaire actuel est une véritable poudrière sur laquelle est assise l’épargne des Français. La prochaine crise systémique verra voler en éclat la gigantesque pyramide de Ponzi qui a permis l’inflation de la masse monétaire. La gauche a pour mission de remettre en cause les mécanismes structurels du modèle libéral. 

Vers un nouveau modèle de développement

Le prochain krach bousier est inévitable. Aucune des mesures réclamées par toute l’intelligence économique mondiale pour sécuriser le système bancaire n’ont été appliquées. La refonte du système monétaire sera le premier acte d’une nouvelle économie durable. Les leviers de la création monétaire pourront être activer par des banques centrales investies d’une mission de service public de pilotage économique et monétaire. Ainsi serait substituer à l’argent-dette de la monnaie « permanente ». Le risque d’inflation n’existe que si le volume de monnaie émise dépasse les besoins nouveaux générés par la croissance des échanges. L’impôt sera le moyen de réguler la circulation optimale de la monnaie.

Les grands chantiers de la transition écologique requièrent la dépense publique pour planifier les investissements d’avenir, considérés pas assez rentables pour le capital. Mais la contribution de ce dernier à l’effort écologique doit-être renforcée en luttant significativement contre la fraude et l’évasion fiscale. Nous avons besoin d’urgence d’une agence nationale de la transition écologique qui coordonne la reconversion des infrastructures sur tout le territoire. L’initiative individuelle et locale, l’agoécologie ainsi que l’économie sociale et solidaire ont besoin d’être stimulées par des prêts à taux préférentiels accordés par un pole socialisé du crédit bénéficiant de la création monétaire.

Au cœur du dispositif de la transition écologique, il y a le partage du travail. L’efficacité productive économise le travail humain. Celui-ci ne représente plus que 12% de notre existence, contre 40% à la fin du XIXe siècle. Cette réalité, qui bouleverse nos conceptions souvent moralisatrices quant au temps de non-travail, constitue la principale issue pour notre projet de civilisation. Le passage à la semaine de 4 jours, permis par les gains de productivité, est la prochaine étape pour renouer avec le plein-emploi tout en apportant une réponse à la souffrance au travail. C’est aussi du temps disponible pour la formation des salariés qu’il faudra réaffecter aux emplois verts. Enfin, c’est redonner de l'espace pour la vie démocratique indispensable au nouveau projet de développement qui doit associer la société civile. Car le temps libéré sur le travail n’est pas destiné à alimenter la consommation de masse. Il doit permettre la vie de famille, le développement personnel, le lien social, la culture, la recherche, l’engagement politique et associatif… Bref, toutes ces activités essentielles à notre humanité qui ne concourent pas à la croissance matérielle de la production et à la destruction de notre écosystème.

Refuser de dénoncer la course aveugle à la croissance, c’est prendre le risque d’apparaître comme la vieille gauche productiviste et consumériste. C’est faire l’impasse sur le projet progressiste de la gauche : relever les grands défis du siècle dans un monde solidaire où l’homme n’est pas esclave du travail et de la production. Il est temps que la gauche se réveille et se mette au diapason des aspirations profondes qui travaillent notre société.



[1] François Hollande vient d’accorder 10 milliards d’exonérations sur les cotisations familiales aux entreprises, et non pas 30 milliards comme il a été déclaré en conférence de presse. Les entreprises bénéficient déjà de 20 milliards d’euros d’exonérations car elles ne paient pas de cotisation sur les salaires au Smic et seulement en partie pour ceux qui représentent jusqu’à 1,6 fois le smic, que l’Etat paie à leur place.
[2] Trente ans de vie économique et sociale, Insee, 2014.
[3] Étude du cabinet Trendeo, 2013
[4] Nous n’avons pas mis fin à la croissance, la nature va s’en charger, Terra Eco, Dennis Meadows, 2012.
[5] Observatoire des multinationales, réseau Banktrack, 2013.


1 commentaire:

  1. Nouvelle Donne ne dit pas autre chose et malheureusement, au Pays basque où je réside, nul ne tient ce langage.

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