jeudi 12 novembre 2015

Vérités et idées reçues sur l'économie française

Chaque année, aux USA, le Council of Economic Advisors (dont la version française est le Conseil d'Analyse Economique) publie un rapport sur l'état de l'économie américaine. L'édition 2015 comporte une section consacrée à la situation économique de la classe moyenne américaine. On y trouve des graphiques comparant l'économie américaine à celle des principaux pays développés. Si le rapport se concentre sur l'économie américaine, ce que ces graphiques montrent de l'économie française casse bien des idées reçues. Jugez plutôt :

Evolution du revenu moyen



Ce premier graphique indique l'évolution du revenu moyen des 90% les moins riches (donc, en excluant les 10% les plus riches). On y constate que la France est dans le groupe des pays dans lesquels celui-ci a le plus augmenté. On voit aussi que les classes moyennes ont plutôt bien résisté à la crise de 2007 (nous le savions déjà), contrairement à la baisse sensible observée aux Etats-Unis. La France a bénéficié d'un niveau élevé de protection de l'emploi (mais pour combien de temps) qui amortit le chômage en période de crise. Certes, on peut toujours s'interroger sur ce qui détermine ce revenu moyen dans le rapport américain ? Une chose est sûre, la politique fiscale est moins dramatique qu'au USA. L'INSEE a montré que les réformes des prestations et prélèvements intervenues en 2014 se sont faites au détriment des 50 % des ménages les plus aisés en épargnant les 10 % les plus modestes. Mais l’augmentation de la fiscalité des ménages a eu lieu pour compenser la baisse de la fiscalité des entreprises, qui sera allégée de 22 milliards entre 2014 et 2016, quand dans le même temps celle des ménages augmentera de 17,8 milliards. Ainsi, les 50 % de Français les plus modestes ont un taux d’imposition global de 45 %, les 45 % restant sont taxés à 50 % de leurs revenus, taux qui diminue pour les 5 % les plus riches et s’écroule en dessous de 35 % pour les 1 %. Avec le pacte de responsabilité, la fiscalité des entreprises atteindra en 2017 son plus bas niveau historique, tandis que celle des ménages frôlera le record, selon l’OFCE.

Croissance de la productivité du travail



La productivité du travail augmentait à un rythme élevé dans les années 60 et 70, mais elle ralentit depuis, expliquant la chute de la croissance en France depuis les années 70. On peut noter sur ce graphique  que la France ne se distingue guère des autres pays : elle ne semble faire ni mieux, ni significativement pire que l'essentiel des autres. A noter, la stagnation spectaculaire de la productivité en Grande-Bretagne. Au cours de la période récente, les USA font un peu mieux que les autres ; mais ce sont les plus riches qui en ont bénéficié.
Attention aussi au mode de calcul. Ne pas confondre productivité par tête et productivité horaire. Nous savons que les Français se situent au quatrième rang européen en termes de productivité horaire, selon une étude de l’office statistique de L’UE (Eurostat). Elle se situerait ainsi devant le Royaume-Uni (10ème) et l’Allemagne (12ème), loin devant l'Italie et l'Espagne, et derrière le Danemark, l’Irlande, le Luxembourg et la Belgique. La France a besoin de moins de travail humain pour produire que la plupart de ses concurrents malgré un sous équipement en robots dans les chaînes de fabrication.

Part du revenu des 1% les plus riches



Ce n'est pas une surprise, l'essentiel des gains de revenus de la période récente, aux USA, a été captée par les 1% les plus riches. Vous constaterez que cette part est en France la plus faible des pays considérés. Vous noterez aussi la tendance depuis 2005, en comparant avec l'Allemagne ; la part a baissé en France et considérablement augmenté en Allemagne. Mais les 500 plus grosses fortunes de France sont en train se refaire une santé. Elle ont grossi de 25% en 2013 et de 15% en 2014 (statistiques sur cette période absentes du graphique).

Taux de participation

Mais la vraie surprise porte sur le marché du travail. Ce n'est pas une découverte : le taux de chômage français est très élevé, l'un des plus élevés des pays considérés : 10.8%, contre 5.5% aux USA, 7% au Canada, 12.4% en Italie, 4.5% en Allemagne, 5.6% au Royaume-Uni, 3.3% au Japon. Mais le taux de chômage n'est pas un indicateur idéal du sous-emploi car il dissimule aussi un taux de précarité important dans certains pays, comme en Allemagne par exemple ; rappelons aussi qu'il représente la proportion de chômeurs parmi les actifs, les actifs étant les travailleurs plus les chômeurs. De ce fait, il exclut les chômeurs découragés : les gens qui renoncent à chercher du travail (et donc, cessent d'être considérés comme chômeurs).

Pour prendre en compte ces derniers, on utilisera plutôt le taux de participation, c'est à dire la proportion des gens économiquement actifs - soient ils travaillent, soient ils cherchent activement du travail - parmi la population en âge de travailler. Pour les hommes, le graphique est le suivant :



La tendance est pour l'essentiel à la baisse du taux de participation masculin dans ces différents pays. Mais on peut noter que celui-ci est élevé en France, dépassée seulement par le Japon, et très bas aux USA. Il s'est même effondré depuis la crise, atteignant le niveau de l'Italie. Et cela ne se fait pas au détriment de l'emploi féminin, au contraire :



Le taux de participation des femmes au marché du travail est en France le plus élevé des pays étudiés. En cumulant ces deux taux d'activité, et leur faible niveau aux USA, on peut noter que les 5% de différence de chômage sont en bonne partie expliqués par les gens qui sont sortis du marché du travail aux USA. En d'autres termes, en France, les chômeurs restent chômeurs parce qu'ils ont l'espoir de retrouver du travail et cherchent encore ; aux USA, les mêmes personnes ne cherchent même plus. Depuis 1960, la France a connu une progression du taux d’emploi de 10 % (67% à 76%) avec l'entrée croissante des femmes sur le marché du travail. Ce n'est dons pas le taux d'employabilité qui est en cause mais bien le manque de travail. La France s'en sortant plutôt mieux que les autres, il n'y a aucune raison pour que demain l'activité économique s'accompagne soudainement d'une création d'emplois permettant d'embaucher les 6 millions de chômeurs actuels. A quand le partage du travail ?

Le faible taux de participation féminin aux USA s'explique par le faible développement des systèmes de garde d'enfants, principal déterminant dans tous les pays de l'activité féminine. Pour les hommes, on peut citer l'importance aux USA de la population carcérale, et le fait qu'avoir subi une peine de prison rend extrêmement difficile le retour à l'emploi et à une vie sociale normale, un fait bien documenté par la sociologue Alice Goffman. De quoi interroger nos politiques sécuritaires.

Les discours alarmistes permettent de légitimer les agendas politiques camouflant la crise sociale sous les "nécessaires sacrifices" à concéder au redressement national. Ce n'est guère mieux ailleurs et les réformes libérales ne trouvent aucune justification dans les résultats des pays développés. Et il y a des pays dans lesquels c'est nettement pire. Regardez juste où se situe l'Italie sur ces graphiques. Au contraire, ce sont les acquis sociaux et le modèle hérité de Conseil national de la Résistance qui nous ont permis de résister le mieux à la crise. Mais cela nous ne le devons pas à la politique du gouvernement qui, au lieu de les consolider, s'aligne sur les politiques d'austérité et une compétitivité qui tire notre modèle social vers le bas.

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