mardi 22 octobre 2013

Lampedusa, Roms : indifférents aujourd'hui, victimes demain












Le Roms peut-il survivre sans manger ?

Par Alain Jakubowicz, Président de la Licra et Malik Lounès,
tribune publiée par le Huffingtonpost le 18 oct 2013

Rassurante, cette émotion nationale en Italie devant les énièmes cercueils alignés de desperados noyés pour avoir voulu traverser la Méditerranée.

Surprenante, cette proposition des associations d'ouvrir un "corridor humanitaire" pour permettre à ceux à qui nous avons claqué notre porte de rentrer par la fenêtre.

Evidente, l'ouverture totale des frontières des pays de l'Europe de l'Ouest aux millions de miséreux des pays de l'Europe de l'Est. Venez, restez, repartez, faites comme vous voulez, puisque, où que vous soyez dans notre espace commun européen, vous avez la possibilité de travailler. Les chantres de la xénophobie nous avaient prédit une déferlante de barbares affamés venus de l'Est. Avez-vous, depuis cette ouverture, entendu parler d'un problème polonais, hongrois, slovaque, tchèque ou slovène?

Indécente, cette contradiction que subissent les Roms: venez comme vous voulez, mais interdiction de travailler et surtout ne touchez à rien! Le Rom aurait-il la faculté de survivre sans manger? Quel est le message? Plutôt que de mourir de faim chez vous, venez mourir de faim chez nous, car c'est plus sympa?

Cohérente, la corrélation entre liberté de circuler et possibilité de s'installer. Pas la liberté d'installation, ni même le droit d'installation, simplement la possibilité raisonnable de pouvoir travailler en toute légalité. N'est-ce pas ce qui nous paraît naturel pour nous-mêmes lorsque nous sillonnons le monde? C'est ce qui a marché naturellement, sans bruit, ni fracas pour les Polonais et consorts. Pourquoi cela ne fonctionnerait-il pas aussi pour les Roms? Et pourquoi en serait-il différemment avec les Africains? Ne sont-ils pas aussi des êtres humains?

Abracadabrante, cette politique qui consiste à jeter sur les routes ceux qui sont déjà à la rue, pour déclarer ensuite qu'ils n'ont pas vocation à s'intégrer. Où a-t-on vu qu'ajouter de la précarité à la précarité permettait de résoudre un problème de pauvreté? Qui peut croire que faire décamper les Roms règle la question des campements sauvages et des squats délabrés, alors qu'on ne fait que les disperser, en espérant mieux les dissimuler?

Révoltante, cette indifférence à la situation des enfants, virés de leurs abris de fortune pour se retrouver sur le trottoir, sans se préoccuper plus que cela de leur devenir, à défaut de leur avenir, tout en réduisant à néant le travail des associations caritatives. Nous n'avons pas de mots assez durs pour dénoncer leurs parents qui les forment à la mendicité et à la rapine, mais personne ne s'étonne que nous n'ayons d'autre solution que de dégrader un peu plus encore leur situation. Qu'est-ce qu'une société qui n'a plus d'empathie pour les tout-petits?

Hallucinante, cette hystérie collective, qui fait d'une poignée de va-nu-pieds un danger pour la République et sa cohésion sociale. A raison de 17.000 Roms pour 36.000 communes, soit moins d'un demi Rom par commune, le pays subirait-il un choc démographique majeur? N'avons-nous pas assez de vrais problèmes pour nous inventer, en plus, de nouveaux loup-garous?

Inquiétante, cette dérive médiatique qui ouvre les vannes du défouloir, vite devenu un déversoir, qui charrie sans compter autant d'inepties que d'idioties. Ne voit-on pas ainsi les Roms, étrangers et sédentaires, allègrement confondus avec les gens du voyage, bien français et nomades? Chaque média est allé chercher son maire témoin, de droite ou de gauche, mais toujours à l'unisson pour dénoncer l'envahissement qui de son stade municipal, qui de ses espaces verts, par des caravanes. Des caravanes? Les Roms auraient des caravanes? On les croyait en cahutes de fortune ou en squat de bâtiments insalubres, à la merci de maladies et d'incendies, arguments systématiquement avancés pour justifier leur évacuation. Bien malin qui peut dire qui des Roms ou des gens du voyage profite ou subit cet amalgame de l'un à l'autre...

Stupéfiante, cette sémantique qui consiste à justifier l'inhumanité de ce qu'on fait au nom de la fermeté. Etre fort et courageux, ne serait-ce pas dire qu'absorber décemment et dignement quelques milliers de Roms, comme le font nos voisins allemands, espagnol et italiens par dizaines de milliers (eux !), n'est pas un problème majeur pour ce grand pays qu'est la France?

Effrayante, l'idée qu'on peut vivre durablement en sécurité sans se préoccuper des causes comme des conséquences des guerres et misères qui ravagent le monde. Faut-il tant de courage pour dire fermement qu'il n'est ni juste, ni humain et encore moins réaliste de croire ou laisser croire qu'on peut être impunément autiste au malheur d'autrui? Si on n'a pas ce courage, la seule fermeté dont on peut se prévaloir, est celle de sa lâcheté.

Prégnante, cette leçon maintes fois rappelée tout au long de l'histoire de l'humanité, qui veut que dans la difficulté, il n'y a que deux possibilités. Celle de l'égoïsme et du repli, du chacun pour soi et Dieu pour tous, du sacrifice des plus faibles et de l'exclusion de la communauté des trop différents. Et puis, il y a l'autre option. Celle de l'unité et de la solidarité. On se serre les coudes, on se tient la main, personne ne lâche pour que personne ne tombe. Ce choix binaire de valeurs morales ne se segmente pas. Quand on l'applique à ses frontières, on l'applique aussi au coin de sa rue. Quand on l'applique à l'étranger, on l'applique aussi aux membres de sa propre famille. Quand, dans la difficulté, on fait le choix de l'égoïsme et de l'exclusion, on trouve toujours un vilain petit canard à débarquer de la fratrie.

Chère Française, Cher Français, nous espérons t'avoir convaincu que le choix de l'humanité n'est pas celui de l'angélisme, mais du réalisme, qu'il est fait autant de passion que de raison. L'inhumanité mène à l'absurdité. Elle tue autant l'intelligence que les personnes. Elle est sans limite. Indifférent aujourd'hui à Lampedusa, victime demain en bas de chez toi. Quand trop d'inhumanité mène à tant d'absurdité, c'est un devoir de se révolter, d'exiger que fermeté rime enfin avec courage et vérité. Maltraiter les Roms ne les fera pas disparaitre et ne résout rien. Fermer nos frontières ne nous met pas à l'abri des fracas du monde. On ne se protège pas des guerres et de la misère. On les combat. On ne tourne pas le dos aux victimes. On leur tend la main. Si on se laisse aller à une lâche et inhumaine indifférence, on finit par avoir chez soi la guerre, la misère et le déshonneur.

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