samedi 13 septembre 2014

Emmanuel Macron, symbole de la dérive libérale de l'exécutif

PAR  LÉNAÏG BREDOUX ET MARTINE ORANGE | 26 AOÛT 2014 | 

Arnaud Montebourg remplacé par Emmanuel Macron au ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique: c'est le grand symbole du remaniement.

Anaud Montebourg remplacé par Emmanuel Macron : c'est le grand symbole du remaniement annoncé mardi par l’Élysée. L'ancien banquier de Rothschild, secrétaire général adjoint de l’Élysée pendant deux ans, est nommé ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Un choix qui vient définitivement solder le débat ouvert par l'ancien candidat de la démondialisation sur la politique économique du gouvernement et qui lui a coûté son poste au gouvernement.

À 36 ans, Emmanuel Macron entame déjà une sixième vie. Pendant deux ans, de mai 2012 à juin 2014, il a été un des piliers du cabinet de François Hollande à l’Élysée, en tant que secrétaire général adjoint, supervisant tous les grands dossiers économiques et industriels, y compris certaines batailles du CAC 40, ainsi que les grandes négociations européennes. Par ses fonctions, il était très régulièrement amené à travailler avec Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif puis de l'économie, jusqu'à son départ – les deux hommes s'estimaient et ils se sont parfois mutuellement soutenus (comme sur Alstom), unis par la défense d'un certain « volontarisme industriel », selon l'expression d'Emmanuel Macron.

Mais sur les grands équilibres macroéconomiques, les deux hommes incarnent malgré tout deux sensibilités au sein du PS, l'une plus keynésienne et critique de l'austérité pour Montebourg, l'autre plus libérale et arc-boutée sur la réduction des déficits pour Macron. Aux yeux de la gauche du PS, mais aussi des députés critiques de la majorité, cet ancien banquier d'affaires avait fini par incarner la dérive libérale de l'exécutif et la mainmise des technocrates sur le gouvernement. Ils parlaient même de victoire de la « ligne Macron », dont l'achèvement était apparu lors de la conférence de presse de François Hollande le 14 janvier dernier avec l'annonce du pacte de responsabilité.

À l'époque, même Jean-Marc Ayrault, pourtant social-démocrate revendiqué, en est mal à l'aise. « C’est François Hollande, tout seul avec Macron et quelques patrons, qui en décide. Le premier ministre n’est prévenu que quelques heures avant »,rappelle un ancien de Matignon. « Matignon était très business friendly mais très vite, on a été mal à l’aise et c’est même devenu une souffrance », témoigne un autre. Un troisième confirme : « L’équilibre politique s’est rompu avec le pacte de responsabilité. » Ayrault et son équipe s'étaient déjà heurtés à Macron à propos de la réforme fiscale : l'ex-conseiller de François Hollande était très réticent, notamment sur la fusion entre l'impôt sur le revenu et la CSG. 

Avant sa nomination en avril dernier, l'ancien rapporteur du budget devenu secrétaire d’État au budget, Christian Eckert, ne cachait pas non plus son agacement vis-à-vis des conseillers de l’Élysée, et plus particulièrement d'Emmanuel Macron. C'était en janvier 2014, après l'annonce d'un dispositif fiscal pour les ménages, faite par le cabinet de François Hollande. « On se souvient d’un certain nombre de comportements, notamment de Claude Guéant à une certaine époque. Il y a des élus de la République. Il n’est pas sain que des choses aussi précises, comme la baisse de la fiscalité des ménages, soient annoncées par un conseiller du président de la République, quelles que soient ses qualités », expliquait-il alors.

Emmanuel Macron avait finalement quitté l’Élysée en juin 2014, dans la foulée de la nomination comme secrétaire général de Jean-Pierre Jouyet, ami personnel de François Hollande et spécialiste des mêmes dossiers. Privé d'espace, Macron parlait de donner des cours dans de grandes universités étrangères et était resté mystérieux sur son avenir. 

Son arrivée au poste de ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique illustre aussi le glissement – peut-être définitif – du pouvoir de tous les dossiers économiques dans les mains de la technostructure de Bercy. Comme si le politique, coincé entre la haute administration des finances et la Commission européenne, avait renoncé à exercer tout pouvoir sur le sujet ou même à faire semblant. Cette dérive était déjà largement en cours lors du ministère de Pierre Moscovici. Celui-ci avait tenu à garder Ramon Fernandez, très proche de Nicolas Sarkozy, comme directeur du Trésor, poste qu’il occupait depuis 2009. Très apprécié de Berlin, c’est lui qui discutait les positions de la France dans les grandes négociations européennes et internationales, lui qui arrêtait souvent les compromis, Pierre Moscovici se contentant souvent de lire ce qui lui avait été préparé. Alors que Matignon avait demandé son remplacement, Pierre Moscovici, soutenu par toute l’administration de Bercy, s’y était opposé pendant de longs mois, avant que Ramon Fernandez finisse par céder et rejoigne son ami Stéphane Richard chez Orange, comme directeur financier du groupe.

Désormais, ce maintien des apparences ne semble même plus utile. Emmanuel Macron appartient complètement au sérail de la haute administration de Bercy. Inspecteur des finances, il connaît les arcanes du ministère, ses usages et ses modes de pensée. Il partage la plupart des analyses. Il n’aura pas comme Arnaud Montebourg ces colères et ces critiques contre les hauts fonctionnaires et particulièrement du Trésor. Ce qui lui avait valu en retour d’être surnommé « le fou » par la haute administration. Aujourd’hui, Bercy triomphe totalement : c’est un des siens qui prend officiellement les manettes de l’économie, sans être passé par la case politique. Comme ils n’ont cessé de le dire, les ministres passent, eux restent. Ils font la politique de la France.  

Interrogé sur France 2 quant à la nomination d'Emmanuel Macron, Manuel Valls a défendu son nouveau ministre : « Emmanuel Macron est un socialiste. On ne peut pas dans ce pays être entrepreneur, banquier, artisan, commerçant ?! Cela fait des années qu'on crève de débats idéologiques. (...) Sur M. Macron, j'entends des critiques, des étiquettes qui à mon avis sont dépassées, surannées. Les critiques sont venues de la gauche elle-même. Il y a toujours des politiques alternatives, mais j'ai la conviction que celle que nous menons est la bonne, celle que nous devons poursuivre pour redresser le pays. Il y a de beaux symboles (dans ce remaniement, ndlr), M. Macron en est un. »

Les six vies d'Emmanuel Macron

Sa première vie fut pour la philosophie. Il devint assistant de Paul Ricœur, commença une thèse, avant de s’apercevoir que tout cela n’était pas pour lui. « Paul Ricœur a fait ses grands livres après 60 ans. Je n’avais pas cette patience. C’était trop lent pour moi », explique-t-il. Alors il entama sa deuxième vie et bifurqua vers des études plus conformes à l'air du temps : Sciences-Po l’ennuya par son conformisme, l’ENA le passionna. Il y découvrit la vie de l’État, l’administration, le pouvoir et la politique. Il termina comme il se devait, dans la botte, à l’Inspection des finances.

« Sarkozy m’a beaucoup aidé et les socialistes du Pas-de-Calais aussi », dit-il pour résumer la suite, comme quoi la philosophie lui a au moins appris à relativiser les situations. D’autres y auraient vu au contraire un fâcheux coup du sort. Car à peine ses études achevées, il est tenté par une troisième vie : la politique. Il s’embarque pour faire de la politique locale dans le Pas-de-Calais. Mais entre le jeune inspecteur des finances et les caciques de Liévin, le courant ne passe vraiment pas. Les locaux ne voient en lui qu’un jeune ambitieux venu bousculer les jeux locaux.« J’étais le jeune mâle blanc, ce qui ne pouvait constituer qu’un handicap. Ils n’ont jamais considéré que je pouvais leur apporter quelque chose », raconte-t-il, encore amer, après cette expérience.

Retour donc à l’Inspection des finances à temps plein. En 2007, lorsque Nicolas Sarkozy est élu, tous les jeunes de l’Inspection des finances se précipitent pour entrer en cabinet ministériel : la voie royale pour la suite. « Toute ma promo est partie », dit-il. Pour sa part, Emmanuel Macron refuse, en dépit des multiples sollicitations notamment pour rejoindre le cabinet d’Eric Woerth au budget. Questions de convictions. Lui est à gauche, de gauche libérale certes, mais de gauche. Le voilà donc en quarantaine : chargé de mission au Quai d’Orsay.

C’est là que Jacques Attali, chargé par Nicolas Sarkozy d’animer une commission pour la croissance, vient le chercher. Dans la quarantaine d’experts, économistes, conseillers en tout genre qui participent aux travaux, il n’y en a pas tellement qui ont les idées, la plume et le temps pour organiser les réunions et en rédiger les comptes-rendus. Deux mois après, Emmanuel Macron est nommé rapporteur général de la commission Attali. Présentés en grande pompe, les beaux projets de la commission connaîtront le sort de tant d’autres : à la première menace de grève des taxis, furieux de voir remettre en cause le numerus clausus, le tout est promptement enterré dans un tiroir.

Mais cet interlude a permis à Emmanuel Macron d’élargir son cercle de connaissances, de rencontrer d’autres personnes et de réfléchir. Il n’a plus envie de repiquer à l’administration sous l’ère Sarkozy. Il veut un travail autre, plus international, qui lui permette de comprendre le privé, la vie des affaires, ce qui structure vraiment l’économie. « Tu devrais regarder dans la banque d’affaires », lui suggère Serge Weinberg, ami de Jacques Attali, qui le présente à la banque Rothschild. Il rencontre tous les associés et est coopté. En septembre 2008, il entre dans la maison. « J’ai eu de la chance. J’avais un parcours très peu intelligible. Personne ne pouvait le comprendre ailleurs que chez Rothschild », dit-il.

La quatrième vie commence : celle de banquier d’affaires. Emmanuel Macron apprend le monde des entreprises, les techniques financières, les opérations internationales, le big business : « Les grandes rationalités et ses aberrations », comme il le dit lui-même. Il s’y amuse et y réussit : en 2011, il devient le plus jeune associé-gérant de la banque. Mais il n’ignore pas combien cette vie de vif-argent, surpayée, a ses limites : rien ne s’y construit sur le long terme. Surtout, il n’a pas oublié la politique.

Parce qu’il considère qu’il est impossible de laisser faire sans réagir, il propose gracieusement son aide en 2010 à la société des rédacteurs du Monde, au moment où celle-ci se bat seule une dernière fois pour son indépendance. Son plan est simple et audacieux : oser aller jusqu’au dépôt de bilan pour apurer la situation financière et renégocier avec les créanciers. Mais ni la direction du journal, ni les banquiers, ni le pouvoir élyséen n’ont envie d’une telle solution : Le Monde doit se normaliser et devenir un journal comme un autre. Avec regret, il regarde les journalistes du quotidien pris au piège, n’ayant d'autre issue que de choisir leurs repreneurs.

Dans le même temps, il a déjà commencé à travailler avec des proches de François Hollande sur ce que pourrait être un futur programme économique. Son nom fut naturellement prononcé comme un des membres de l’équipe de l’Élysée, dès l’élection. Même s’il y eut quelques hésitations sur le poste : conseiller économique ou secrétaire général adjoint. Il est attendu à la fois sur les dossiers économiques mais aussi pour assurer un relais avec le monde des affaires que le président connaît peu.

La banque Rothschild s’est quant à elle résignée à voir partir un de ses associés-gérants les plus prometteurs. Cela devient une habitude d’aller puiser chez elle des responsables pour la République. Déjà, Georges Pompidou était directeur général de la banque Rothschild avant de devenir premier ministre du général de Gaulle. En 2007, Nicolas Sarkozy était allé aussi rechercher son ancien directeur de cabinet, François Pérol, devenu associé-gérant de la banque, pour le nommer secrétaire général adjoint.

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