mardi 20 mai 2014

Jean Gadrey : « S’affranchir du mythe de la croissance et reprendre la main »


Les politiques actuelles ne marchent plus. Il faut en finir avec cette idée que sans croissance rien n’est possible, affirme l’économiste Jean Gadrey, membre du comité de soutien du parti Nouvelle Donne. Nul besoin d’attendre une hypothétique croissance pour partager le travail, réduire la pauvreté et la précarité, ou taxer les transactions financières.

Il est temps d’en finir avec cette idée du candidat François Hollande en 2012, reprise sans cesse par le Président, selon laquelle « sans croissance, il n’y a pas de redressement économique, pas de création d’emploi » et même pas de progrès social possible. Cette idée nous condamne à l’impuissance politique.

Il n’y a nul besoin d’attendre la croissance pour s’en prendre à l’excès de dividendes et de profits non réinvestis, pour séparer réellement les activités de banques de dépôts et de banques d’affaires, pour négocier un partage équitable du travail tout au long de la vie, pour mettre en place une vraie taxation des transactions financières, pour une révolution fiscale progressive, pour réduire fortement la pauvreté et la précarité en un an, pour lancer un plan massif de réhabilitation thermique et d’énergies renouvelables… Aucune des 31 mesures du programme de Nouvelle Donne pour les élections européennes n’a besoin que l’on attende la croissance, bien que tout y figure pour qu’on sorte de la déflation actuelle, en particulier en reprenant la main sur la finance et la création monétaire.

D’innombrables travaux montrent que, dans le groupe des pays les plus « riches » au sens usuel, les indicateurs de développement humain, de bien vivre, de santé et d’éducation, de délits et violences… n’ont plus aucun rapport avec le niveau du PIB par habitant. Les « politiques de croissance » ne marchent plus, elles ont même des effets pervers. Il faut des politiques de civilisation, d’ailleurs bien plus riches en emplois.

De plus en plus d’économistes estiment que, d’une part, la croissance ne reviendra pas, ou seulement à des taux très faibles, et que, d’autre part, selon Thomas Piketty,« le retour de la croissance ne résoudra pas l’essentiel des défis auxquels les pays riches doivent faire face ». Daniel Cohen nous invite quant à lui à nous « affranchir de notre dépendance à la croissance ».

Plus important encore, le retour – très improbable – d’une croissance « à l’ancienne » n’est pas souhaitable si l’on pense à l’avenir de notre biosphère, un avenir qui a commencé à se conjuguer au présent, sous la forme de catastrophes dont la fréquence et la gravité augmentent. Ce retour aggraverait encore la pression écologique des activités humaines, dont le réchauffement climatique, et accélèrerait la destruction des écosystèmes dont dépend le bien-être humain.

En 2013, c’est vers le 20 août que l’humanité a fini de consommer le flux de ressources naturelles renouvelables que la nature peut lui fournir en un an, et qu’elle a donc commencé à vivre à crédit en prélevant dans les réserves de la « banque mondiale des ressources naturelles ». Or ces réserves sont limitées. On ne peut pas très longtemps bruler ses meubles pour se chauffer.

La déraison est du côté des mystiques de la croissance, la raison du côté de la gestion commune de biens communs écologiques et sociaux, y compris la monnaie et le crédit.

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