jeudi 15 mai 2014

Cambadélis appelle les forces de gauche à «reconstruire un tronc commun»


Grosse surprise sur le plateau d'« En direct de Mediapart », mercredi. Lors de ce débat entre Cambadélis (PS), Cosse (EELV) et Mélenchon (Front de gauche), le premier secrétaire socialiste a pris acte d'« une défaite majeure » et appelé toutes les forces de gauche à se retrouver pour « reconstruire le tronc commun de la gauche et des écologistes ». Simple habileté tactique ?

Cette démarche nouvelle, au moment où partis et clubs nouveaux se créent à gauche (Nouvelle Donne, par exemple), se fonde sur un constat largement partagé par les trois dirigeants et qui ne concerne pas seulement le brutal « désamour » (Cambadélis), le« discrédit » (Mélenchon) provoqué par la présidence Hollande. La crise est plus profonde encore, elle ne concerne pas que le PS mais l'ensemble des forces de gauche.

« Le PS a subi une défaite majeure, les fondations mêmes du parti ont été ébranlées, ces fondations du socialisme municipal, mais dans l'ensemble de la gauche il y a aussi divisions et désarroi. Si nous ne parvenons pas à nous écouter et à échanger, alors nous allons entrer dans une période extrêmement difficile », estime Jean-Christophe Cambadélis. « Je partage beaucoup d'éléments de ce diagnostic, oui, toute la gauche recule ensemble, j'en suis parfaitement conscient », répond Jean-Luc Mélenchon. Même analyse d'Emmanuelle Cosse :« Quand l'électorat de gauche, et particulièrement socialiste, ne vote pas, tout le monde en souffre. »

Quant aux raisons de la crise profonde du PS, mais aussi de la social-démocratie européenne, ou encore des gauches critiques, les trois dirigeants n'affichent pas de divergences radicales. Cambadélis souligne ce qui est, pour lui, la « défaite majeure : la question sociale, celle de l'égalité républicaine, a été battue par la question de l'identité. C'est pour cela que le FN progresse, qu'il est bien là, qu'il est en dynamique et qu'une lutte à mort s'engage contre lui et durera jusqu'à la présidentielle ».

Jean-Luc Mélenchon veut voir plus grand et parle, lui,« d'une crise de civilisation européenne », civilisation ravagée par les dogmes du libéralisme. « Il nous faut dessiner une ligne d'horizon, d'espoir, de futur. L'ancien logiciel de gauche est mort, celui du communisme d’État, n'en parlons pas, mais aussi le logiciel social-démocrate. Les écologistes ont apporté quelque chose qui est la clé de sortie vers le haut. Il nous faut construire l'écosocialisme basé sur la transition écologique », assure-t-il.

Débattre, oui, mais de quoi et comment ? Emmanuelle Cosse est venue rappeler quelques réalités dérangeantes à un Jean-Christophe Cambadélis qui, en plus de deux heures trente de débats, n'aura pas cité le nom de Manuel Valls, et évoqué du bout des lèvres François Hollande – et en rappelant que lui avait soutenu Martine Aubry lors de la primaire socialiste. « Cela fait vingt ans que je dis que le logiciel de la gauche est mort. Débattre... mais nous discutons beaucoup ensemble ; nous avons préparé 2012 avec le PS, nous avons signé un accord : le problème est qu'une fois le PS parvenu au pouvoir, tout cela est effacé ! », a insisté la secrétaire nationale d'EELV.
Les pieds dans le béton

Que pouvait bien répondre Cambadélis, lesté par le bilan du pouvoir et les pieds comme coulés dans le béton ? Le premier secrétaire du PS a tenté de distinguer « le temps court », celui de l'exercice du pouvoir et de ce que pourraient être les trois prochaines années de présidence Hollande, d'un « temps long », principal défi posé à la gauche. Mais si « enjamber » ainsi le quinquennat Hollande lui a permis de prendre toutes les distances possibles par rapport aux politiques menées aujourd'hui, cela ne lui a pas permis d'échapper aux quelques questions clés posées par ses interlocuteurs.

Emmanuelle Cosse l'a redit : « On ne souffre pas d'un manque de dialogue, d'un manque d'idées, le problème est comment mettre en œuvre les politiques décidées une fois parvenus au pouvoir ; et pourquoi ne l'avons-nous pas fait. » « On peut bien sûr débattre à un niveau idéologique, a renchéri Jean-Luc Mélenchon, mais il faut ensuite venir sur des choses concrètes et parler sérieusement programme. » 

Et c'est là que les difficultés commencent, multiples et bien souvent irréductibles. Si le Front de gauche et le mouvement écologiste paraissent en phase sur quelques questions centrales (redistribution, transition écologiste, investissements publics, développement soutenable plutôt que course à la croissance), le dirigeant socialiste n'a pu que prendre acte de l'ampleur des désaccords et assumer un « réformisme » revendiqué plutôt qu'une « tension » ou une« rupture » avec le capitalisme. Le choix, tel que résumé par Mélenchon, étant entre « une politique de l'offre ou une activité écologiquement soutenable », les fractures entre ces gauches sont apparues béantes.

« Je mets de côté la pratique gouvernementale, mais le parti socialiste a lui aussi intégré l'écologie », a tenté Cambadélis sans pouvoir tenir très longtemps la position... Idem sur la défense du pacte de responsabilité et des 50 milliards d'économies dans les dépenses publiques qui ont provoqué l'abstention de 41 députés socialistes. Le premier secrétaire a tenté une audacieuse explication : la désignation de Hollande lors de la primaire socialiste avait comme « logique » cette politique, puisque le candidat n'avait pas encore prononcé le discours du Bourget et s'était en revanche déclaré partisan d'un retour aux 3 % de déficit budgétaire... Le savaient-ils, ces premiers électeurs de Hollande, qu'ils voteraient pour le plan aujourd'hui défendu par Valls ? Oui, veut faire croire Cambadélis. 

Autres désaccords majeurs : les politiques sociales et la question de la redistribution.« Augmenter le SMIC, c'est écologique ! », a tonné Mélenchon dans une de ces formules qu'il affectionne. Vu par Cambadélis, cela donne ceci : « Le cœur de notre désaccord avec ceux que j'appelle les néocommunistes, parce que je ne peux pas les appeler mélenchonistes, c'est cela : on ne peut pas redistribuer ce que l'on n'a pas encore produit ! » Dialogue de sourds inévitable : ni Mélenchon, ni Cosse – avec des arguments différents – ne peuvent se ranger à l'argumentaire ressassé depuis des mois par le pouvoir.

Et puis, bien d'autres questions divisent ces gauches sans que l'on discerne comment réduire les fractures. L'Europe, bien sûr, avec un fédéralisme revendiqué par Emmanuelle Cosse et fortement rejeté par Jean-Luc Mélenchon, pour qui « l'Europe ne doit pas être changée ou réorientée mais totalement refondée ». L'euro ensuite, comme le rôle et les pouvoirs de la Banque centrale européenne. Le projet de traité transatlantique de libre-échange Europe/États-Unis enfin, qui voit à nouveau EELV et Front de gauche s'opposer ensemble au PS.

Les tentatives de Cambadélis d'expliquer qu'« à ce stade », le PS était contre, quand le candidat des socialistes européens Martin Schulz se dit pour – moyennant quelques, sont apparues comme désespérées. 

Au vu de ces désaccords, toute reprise de dialogue entre les forces de gauche est-elle vouée à l'échec ? Les résultats des européennes, puis la capacité ou non du pouvoir socialiste à sortir de l'impopularité détermineront largement les futurs possibles de tels échanges. Mais au moins Cambadélis pourra-t-il dire qu'il aura pris date en lançant cet appel. Le PS ne peut prendre le risque de voir se construire des convergences – et plus si affinités – entre les autres forces de gauche qui viendraient l'isoler, le marginaliser. Et, pourquoi pas ?, le doubler lors de la prochaine présidentielle.












1 commentaire:

  1. « Martin Schulz se dit pour – moyennant quelques, »

    Moyennant quelques quoi ?

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