jeudi 10 avril 2014

Désir et Cambadélis recasés : c'est la prime au vide au PS


Nommé secrétaire d'État aux affaires européennes, Harlem Désir quitte la tête du parti socialiste. Il sera remplacé par Jean-Christophe Cambadélis. Un choix qui laisse pantois quant à la gestion des ressources humaines socialistes par François Hollande et Manuel Valls.

Nicolas Sarkozy se vantait en son temps d'être le « DRH du parti socialiste », mais François Hollande a décidé de réellement occuper la fonction. En promouvant Harlem Désir, le premier secrétaire du PS, au gouvernement en tant que secrétaire d'État aux affaires européennes (un cas déjà vu avec Lionel Jospin en 1988, remplacé par Pierre Mauroy – vainqueur de Laurent Fabius devant le conseil national – et Lionel Jospin en 1997 – remplacé par François Hollande au congrès de Brest quelques mois plus tard), le président de la République a souhaité arrêter les frais d'un parti allant à vau-l'eau, suscitant incompréhension parmi ses proches, comme chez les autres chefs à plume socialistes.

On ne sait encore si Harlem Désir est ainsi récompensé pour avoir rendu le PS atone, pour ses communiqués brejneviens, pour la quasi-disparition des primaires, ou pour la débâcle électorale aux municipales.

La raison de ce chamboulement à la tête du PS est évidemment autre, et fidèle à la philosophie globale du remaniement : « On vire les tocards qui ne savent pas communiquer, car tout n'est qu'un problème de communication » (ceci n'est pas une citation officielle, mais un résumé des conversations récentes avec les plus ardents défenseurs du pouvoir).

En exfiltrant Désir, c'est la tête de liste aux européennes en Île-de-France qui est épargnée. Déjà auteur d'un score mirifique en 2009 (13,58 %), la crainte de voir « Harlem » connaître pire déroute dans un mois semble avoir motivé l'Élysée. Mais comme les ressources humaines et le respect des statuts du PS n'ont jamais été le fort de François Hollande, le flou le plus total entoure les conséquences de cette nomination. Tout semble ainsi encore ouvert. Harlem Désir malgré tout candidat ? Un recasage de Vincent Peillon sur la liste parisienne, plutôt que dans le Sud-Est où les premiers sondages sont eux aussi catastrophiques ? La mise en avant de Pervenche Bérès, n°2 de la liste en Île-de-France ?

Ces considérations de haute politique n'assurent même pas à Hollande de reprendre la main sur le parti, sans doute un autre sens caché de l'opération, puisque le candidat proposé par Harlem Désir pour lui succéder n'est autre que… Jean-Christophe Cambadélis. Soit son rival déçu, écarté en septembre 2012 pour “incompatibilité hollandaise”, malgré le soutien à l'époque de Martine Aubry. Un choix auquel s'était alors vivement opposé Jean-Marc Ayrault, pour des raisons idéologiques mais aussi, à l'époque, pour des « raisons éthiques ».

Ancien premier lieutenant de Dominique Strauss-Kahn, « Camba » profite du vide et de son obstination à vouloir rester le dernier à espérer un poste que plus personne ne désire. Si le monde médiatique pleure sa principale « source critique » du fonctionnement interne du PS, l'homme présente un intérêt certain pour Hollande. Celui d'un organisateur stratège, ancien président de l'Unef en 1981 et organisateur des Assises de la transformation sociale en 1994, prélude à la « gauche plurielle » des années Jospin.

Certains diront que cela ne représente pas les atours d'un grand renouvellement, d'autres rappelleront qu'il a été condamné en 2005 à 6 mois de prison avec sursis et 20 000 euros d'amende, pour recel d'abus de confiance dans l'affaire des emplois fictifs de la Mnef. Mais on pourrait leur rétorquer que la condamnation passée de Harlem Désir (à 18 mois de prison avec sursis et 30 000 francs d'amende, en 1998, pour recel d'abus de biens sociaux) n'a guère provoqué de remous dans les rangs militants.

En revanche, la perspective d'un vote militant entérinant la révolution de palais intrigue les derniers à s'y intéresser. Après un conseil national prévu mardi prochain pour consacrer Cambadélis, le désormais futur secrétaire d'État indique ainsi dans un communiqué que le « nouveau premier secrétaire devra ensuite aller devant le vote des militants », au nom de la « culture démocratique » du parti. Pour autant, selon les statuts du parti, un tel intérim n'est prévu que pour « vacance prolongée du pouvoir » au premier secrétariat. Et l'on ne sait donc rien de la réalité des procédures internes à venir. Simple vote de validation ? Élection avec possibilité de candidatures alternatives ? Congrès extraordinaire ? Ou tout simplement un intérim qui dure jusqu'au prochain congrès, normalement prévu à la fin 2015 ? Nul ne le sait vraiment, mais cela intéresse-t-il encore des militants socialistes ? Si ceux-ci existent encore…

L'avenir du parti n'est en tout état de cause plus le problème de Harlem Désir, qui s'est déjà tourné vers ses nouvelles fonctions. Dans son communiqué, il déclare ainsi : « C’est pour moi un honneur de pouvoir servir dans ce gouvernement, pour une cause qui m’a toujours passionné, la cause de l’Europe. » Et c'est aussi là qu'il faut apprécier le talent de DRH de François Hollande…

« Ministère sanction »

Par la grâce de François Hollande et Manuel Valls, Harlem Désir devient le douzième secrétaire aux affaires européennes en à peine plus de dix ans, le vingt-deuxième en trente-six ans. Thierry Repentin aura tenu à peine un an, arrivé à ce poste en mars 2013 – il avait alors remplacé Bernard Cazeneuve, parti au budget remplacer Jérôme Cahuzac. Cette instabilité chronique en dit long sur le peu d'importance que les exécutifs français – de droite comme de gauche – accordent à ce poste, censé être stratégique pour défendre les intérêts français au sein de l'UE.

Cette fois, l'affaire confine au sublime : la nomination de Harlem Désir fait désormais des « affaires européennes » un ministère sanction, quand il était encore un « maroquin-récompense », bien que ne servant plus à rien. Au moment où le gouvernement de Manuel Valls cherche la bonne distance avec Bruxelles, entre dialogue et confrontation, le message en dit long. L'Europe« devient le Pôle Emploi du parti socialiste », raille ainsi Alain Lamassoure, chef de file UMP en Île-de-France aux européennes. « Hollande veut mettre un recalé du gouvernement à Bruxelles (Pierre Moscovici, ndlr) et le recalé du PS aux affaires européennes, c’est minable ! »s'insurge de son côté l'eurodéputé écolo Yannick Jadot.

Pour ne rien arranger, Désir, s'il a déjà été élu à trois reprises comme eurodéputé, est loin d'avoir brillé au sein du parlement européen, notamment lors de son dernier mandat. À la veille de la dernière session (qui se tient la semaine prochaine à Strasbourg), il est même l'élu français le moins présent à Strasbourg sur la période 2009-2014. Même Marine et Jean-Marie Le Pen affichent un bilan moins désastreux.  

Désir pointe à la 752e place, sur un total de 766 élus, si l'on s'en tient au classement établi par l'ONG Votewatch. Le socialiste a participé à 48 % seulement des votes en séance plénière à Strasbourg (ce qui n'est, certes, qu'un critère de l'engagement d'un eurodéputé au sein du parlement). À titre de comparaison, Jean-Luc Mélenchon, régulièrement critiqué à gauche pour son manque d'assiduité à Strasbourg, fait nettement mieux, dans ce même classement, avec un score de 69 % (684e). La décision de Désir de cumuler ses fonctions au PS et au parlement européen n'est évidemment pas pour rien dans ces statistiques calamiteuses. 

Autre précision : Désir, membre de la commission du commerce international au parlement (celle qui suit les négociations sur l'accord de libre-échange avec les États-Unis, par exemple), n'a écrit qu'un seul rapport (lire ici), adopté en novembre 2010, consacré à « la responsabilité sociale des entreprises dans les accords commerciaux internationaux ». À titre de comparaison, sa collègue socialiste Pervenche Berès, au cours du même mandat, en a écrit… onze. 

La délégation des élus socialistes français au parlement européen a pris acte, dans un communiqué plutôt glacial, de cette nomination : « Travailleur et impliqué, les eurodéputé-e-s socialistes ont apprécié les relations proches et constantes qu'ils ont pu nouer (avec Thierry Repentin). C'est avec le même souhait de régularité et de proximité que nous accueillerons Harlem Désir dans sa nouvelle fonction. » De son côté, le commissaire européen au marché intérieur, Michel Barnier, s'est contenté de réagir, prudent : « Désir est un européen. Après, c'est à lui de bosser. » 


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