jeudi 10 avril 2014

Ce que révèle Jean-Pierre Jouyet de François Hollande


Le choix fait par François Hollande de nommer son ami Jean-Pierre Jouyet au poste de secrétaire général de l'Élysée dit beaucoup sur les dérives néolibérales dans lesquelles l'Élysée est aspiré mais aussi sur les systèmes oligarchiques qui ont plus que jamais le vent en poupe.

Est-ce de l’indulgence ou de la connivence ? Ou alors de la myopie ? Si d’aventure Nicolas Sarkozy avait eu pour un ami proche les égards que François Hollande manifeste à l’égard de Jean-Pierre Jouyet, de nombreux journaux l’auraient étrillé. Pour de multiples et bonnes raisons : pour avoir contribué à faire la carrière de l’un de ses proches ; pour avoir récompensé un haut fonctionnaire qui symbolise l’infidélité en politique et la courtisanerie ; pour avoir pratiqué avec lui un insupportable mélange des genres, entre vie privée et vie publique. Mais dans le cas présent, la grande presse ne manifeste pas cette sévérité. Et saluant la nomination de Jean-Pierre Jouyet comme nouveau secrétaire général de l’Élysée, elle ne veut y voir qu’une histoire d’amitié entre le nouveau promu et le chef de l’État. Une histoire assez inédite puisque les deux amis vont maintenant travailler aux côtés l’un de l’autre…

Au risque de déplaire, il faut pourtant admettre que cette promotion est « bavarde », et qu’elle en dit long d’abord sur François Hollande. C’est peut-être cela qu’il y a de véritablement important dans la promotion de Jean-Pierre Jouyet. Ce n’est pas tant que le monarque républicain ait choisi un nouveau grand chambellan. Non ! C’est d’abord que ledit grand chambellan fait office de miroir : au travers de lui, on devine tous les défauts du maître, en même temps que ceux du système de pouvoir qu’il a installé ou dont il profite.

Le premier effet de miroir, c’est celui qui révèle le fait du Prince : ainsi donc, François Hollande nomme qui il veut où il veut. Et même ses plus proches amis profitent de ses bonnes grâces. Jean-Pierre Jouyet, qui est ainsi l’un de ses plus proches intimes, ne cesse d’en profiter. Comme dans un système monarchique, il est passé devant tous les candidats potentiels qui pouvaient briguer le poste de directeur général de la Caisse des dépôts, la plus puissante institution financière française – il y en avait de plus compétents et de plus légitimes que lui. Mais François Hollande n’a pas même pris soin de soupeser leur candidature sinon même de les recevoir. Et bien que son protégé puisse être en conflit d’intérêts compte tenu de ses anciennes fonctions comme président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), il a fait passer son bon plaisir avant les intérêts supérieurs de l’État. Et c’est ainsi que Jean-Pierre Jouyet est devenu patron de la CDC, juste après l’alternance de 2012, dans des conditions pour le moins controversées (lire nos enquêtes de l’époque Après l’affaire Pérol, l’affaire Jouyet ! et Hollande cède à la République des copains).

C’est donc ce même système de la République des copains qui fonctionne aujourd’hui jusqu’à la caricature, puisque le plus proche des copains est convié aux sommets de… la république pour en assurer le pilotage, comme secrétaire général.

Ce système de copinage est d’autant plus accablant qu’il contrevient au principe républicain de la reconnaissance du mérite et de l’effort.

À quoi bon se dépenser pour l’intérêt général ? Au pays de la monarchie républicaine, c’est la courtisanerie qui commande… Voilà en substance le message implicite à l'adresse des fonctionnaires, hauts et petits, qui transparaît du cheminement professionnel de Jean-Pierre Jouyet. Et le constat est d’autant plus ravageur que l’intéressé va être appelé à de hautes fonctions alors qu’il va laisser derrière lui un bilan pour le moins discutable, sinon même sombre, à la CDC. D’abord, il a contribué à porter un très mauvais coup à l’intérêt général en offrant à l’été 2013 aux banques un magot de près de 30 milliards d’euros en provenance de l’épargne réglementée. De surcroît, l’une des principales filiales de la CDC, la Société nationale immobilière (SNI), a connu ces dernières années de graves dérives, sous fond d’affairisme. Et Jean-Pierre Jouyet n’a rien fait pour remettre de l’ordre dans sa maison, se bornant à commander une mission d’expertise à deux hauts fonctionnaires, comme s’il ne connaissait pas lui-même ce qui se passait dans sa propre maison. Ce rapport, qui devait être rendu public avant la fin du mois de mars, n’est toujours pas bouclé ; et ce sera donc le successeur de Jean-Pierre Jouyet qui devra en tirer les enseignements.

Le deuxième effet miroir ravageur, c’est la prime donnée à l’infidélité en politique. Car Jean-Pierre Jouyet est l’un de ces oligarques qui ont longtemps fait carrière sous la gauche, et qui ont brusquement changé de conviction quand les vents ont tourné, pour devenir subrepticement sarkozyste. Après l’alternance de 2007, on a vu Jouyet entrer, sans le moindre scrupule, au sein du gouvernement de François Fillon, en qualité de secrétaire d’État aux affaires européennes, et courir micros et caméras pour chanter les louanges de Nicolas Sarkozy et de la politique conduite par lui.

Et le voilà, de nouveau, comme les vents ont encore tourné, faire mouvement contraire, en 2012, pour continuer sa belle carrière sous le quinquennat de son ami François Hollande.

« Allez vous faire voir ! »

L’effet de miroir va d’ailleurs au-delà de la promotion de l’insincérité ou de l’infidélité en politique. Car, Jean-Pierre Jouyet est, en vérité, très emblématique d’une fraction de l’oligarchie française, qui, dans un perpétuel mouvement d’essuie-glace, peut aller de droite à gauche puis de gauche à droite, mais en défend perpétuellement les mêmes idées. Est-il besoin de préciser ? Des idées sorties tout droit de la boîte à idées du néolibéralisme. En somme, la « pensée unique »…

Dans l’arrivée à l’Élysée de Jean-Pierre Jouyet au moment précis où le gouvernement de Manuel Valls va accentuer ses cadeaux aux entreprises et aggraver la politique d’austérité, il y a donc une coïncidence qui ne doit, en fait, pas grand-chose au hasard. Car Jean-Pierre Jouyet symbolise jusqu’à la caricature cette politique néolibérale que François Hollande a prise pour cap depuis 2012. À l’instar d’un Pascal Lamy qui multiplie les émissions pour défendre des petits boulots payés en dessous du Smic – « Je sais que je ne suis pas en harmonie avec une bonne partie de mes camarades socialistes, mais je pense qu’il faut, à ce niveau de chômage, aller davantage vers de la flexibilité et vers des boulots qui ne sont pas forcément payés au Smic », vient-il de déclarer à l’émission Questions d’info  de LCP et France Info –, Jean-Pierre Jouyet est en effet capable de proférer des énormités libérales du même acabit, sans même s’en rendre compte. Il en est d’autant plus capable qu’il n’a aucun sens politique – tous ceux qui le connaissent le savent… et le redoutent – mais a du mal à tenir sa langue.
De cette capacité à faire des gaffes, il avait d’ailleurs donné des illustrations dès son arrivée à la tête de la CDC, en annonçant que l’institution ne pourrait pas soutenir le site de Florange puisque sa mission ne consistait pas à aider les « canards boiteux » – et il avait fait cette sortie visiblement sans même se souvenir que la sauvegarde du site de Florange était l’une des promesses phares de son ami François Hollande.

Aux côtés de Louis Gallois (ancien patron d’EADS et inspirateur du « choc de compétitivité »), de Jacques Attali ou encore d’Anne Lauvergeon (ancienne patronne d’EADS), Jean-Pierre Jouyet est donc l’un des représentants de cette oligarchie, issue de la gauche – de cette « nomenklatura » de gauche – qui a ensuite été happée par les milieux d’argent ou les cercles dominants de la finance, et qui en défendent depuis systématiquement les intérêts. Sans grande surprise, Jean-Pierre Jouyet fait d’ailleurs partie du saint des saints de l’oligarchie française et de la pensée unique qu’est le Club Le Siècle, aux côtés de grands patrons et de journalistes assez peu attachés aux principes éthiques.

Dans un billet en date du 26 janvier 2012 sur son blog « Reporterre », mon confrère Hervé Kempf avait d’ailleurs raconté de manière assez cocasse les conditions dans lesquelles il avait croisé Jean-Pierre Jouyet à l’entrée du Siècle, peu de temps avant l’élection présidentielle. L’interpellant pour savoir s’il était normal qu’un haut fonctionnaire côtoie ainsi des banquiers, dans un lieu symbolique du capitalisme de connivence à la française, il avait obtenu pour seule réponse de l’intéressé qu’il s’agissait de sa vie privée. Et l’échange avait pris fin sur cette invitation : « Allez vous faire voir ! »

Enfin, il y a un ultime effet de miroir : Jean-Pierre Jouyet illustre le détestable mélange des genres entre affaires publiques et affaires privées auxquelles François Hollande s’est laissé aller, suivant en cela le très mauvais exemple de Nicolas Sarkozy.

Installant sa compagne de l’époque, Valérie Trierweiler, dans un rôle de première dame, dans une tradition quasi monarchique qui contrevient aux usages républicains, il en a joué, avec la presse et en a espéré des retombées médiatiques, jusqu'à ce que l’on découvre que tout cela n’était qu’un mensonge, puisqu’il avait par ailleurs une liaison avec une autre.

Or, dans ce psychodrame de cour, Jean-Pierre Jouyet, et son épouse, Brigitte Taittinger, l’une des très riches héritières de l’empire du même nom, qui a longtemps dirigé les parfums Annick Goutal avant de devenir la directrice de la stratégie et du développement de Sciences-Po, ont joué des rôles de confidents et d’assistants. CommeLe Monde l’a raconté (l’article est ici, lien payant), c’est Brigitte Taittinger, dans la nuit avant que Closer révélant la liaison présidentielle ne paraisse en kiosque, qui a exfiltré Valérie Trierweiler de l’Élysée pour la conduire vers un hôpital, où elle est restée quelque temps, à l’abri des caméras.

C’est aussi grâce à des dîners mondains chez Jean-Pierre Jouyet et Brigitte Taittinger – qui connaît une bonne partie du CAC 40 – que François Hollande a fait la connaissance avant l’élection présidentielle des principales figures du capitalisme parisien.

Avec Jean-Pierre Jouyet à ses côtés, mi-ami, mi-confident, aujourd’hui de gauche, mais hier radicalement de droite, sautant d’un métier à l’autre sans jamais y rester plus d’un an ou deux, sans grande autorité ni véritable conviction et pour tout dire assez mou, c'est ainsi que François Hollande va désormais travailler. Étrange mélange des genres ! Et surtout étrange attelage qui ne présage rien de bon. Ni pour la gauche, ni pour la République. François Hollande goûte-t-il de la sorte les délices des institutions bonapartistes de la Ve République? Ou succombe-t-il aux mœurs délétères dans lesquelles la SFIO a fini par se noyer ? Sans doute y a-t-il un peu des deux...


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vos réactions nous intéressent…