jeudi 30 octobre 2014

Les robots vont-ils nous mettre au chômage ?



FRANÇOIS BUGEON INGÉNIEUR-CHERCHEUR 27 OCTOBRE 2014 À 16:55

Bientôt, 30% des travailleurs seront remplacés par des systèmes robotisés. Nos sociétés sont-elles préparées à de tels taux de chômage ?

Deux faits économiques majeurs s’imposeront durant le XXIe siècle : d’une part, le retour des taux de croissance à leur étiage historique aux alentours de 1%. D’autre part, la généralisation de la robotisation qui devrait permettre de remplacer les travailleurs humains dans des secteurs d’activité jusque-là inaccessibles à l’automatisation.

On a appelé robots les automates industriels capables d’une certaine diversité de fonctions, comme peindre, souder, mesurer. Toutefois ces machines n’ont aucune autonomie de décision. Depuis une quinzaine d’années, la robotique moderne s’attache à développer cette qualité. Si bien que de nombreux objets entrent dans la sphère robotique sans avoir aucune polyvalence mais parce qu’ils sont doués d’une certaine autonomie de décision.
C’est cette autonomie qui différencie aujourd’hui l’automatisation de la robotisation. L’automatisation a pour but de réaliser un processus de production plus vite et mieux que ne l’aurait fait l’opérateur humain, mais en contrepartie d’une grande spécialisation. La robotisation ne vise pas à produire mieux qu’un homme, mais à le remplacer dans certaines circonstances, c’est pourquoi elle est moins spécialisée et ne se limite pas à un seul processus.

LES DRONES PRENNENT DES DÉCISIONS

Voilà pourquoi les drones utilisés par l’armée américaine en Afghanistan ne sont pas de simples modèles réduits, mais bien une robotisation. Ces engins prennent seuls une partie des décisions qui concernent leur vol. C’est aussi la qualité de son autonomie qui permet au robot Asimo (1) de Honda de n’être piloté par personne lorsqu’il apporte un plateau à une personne âgée (2).

Les progrès de la robotique sont rapides et importants, comme en attestent les rayonnages de magasin de presse qui regorgent de revues à ce sujet. En réalité, il y a moins de blocages technologiques qui freinent l’évolution de la robotique aujourd’hui qu’il n’y en avait pour l’informatique en 1981, lorsque IBM lançait le premier PC. Si bien qu’il faudra sans doute attendre moins de trente ans pour que la robotisation soit mature et généralisée. Le Japon vise un marché à 100 milliards de dollars d’ici vingt ans pour la robotique, tandis que le montant de l’exportation de robots destinés aux services à la personne s’élevait à plus de 80 millions d’euros pour la Corée du Sud en 2012. Ces deux pays envisagent la robotique comme un segment majeur du marché.

Ce n’est pas un hasard si Asimo nous ressemble tant et possède aussi dix doigts. Il s’agit avant tout d’une plateforme de R&D dont le but est d’aboutir à des produits industriels qui devront à terme emprunter les mêmes escaliers que nous, saisir les mêmes objets.

DES ROBOTS DANS LES RESTAURANTS

Les soins à la personne sont la cible principale des premiers fabricants de robots humanoïdes comme le modèle Roméo (3) de la société française Aldebaran, devenue japonaise depuis peu. Mais si porter un plateau à une personne dépendante est déjà possible à un robot, il y a tout lieu de penser que le service en salle dans certains restaurants sera aussi concerné. Ainsi, alors que l’automatisation a amélioré la productivité industrielle, les emplois de service seront le domaine de la robotisation.

Dans un autre secteur, les avantages de l’automobile robotisée, ou autonome (4), sont évidents : la sécurité routière fera un bond considérable et on pourra se déplacer en voiture sans savoir ou pouvoir conduire.

Selon Carlos Ghosn, le PDG de Renault-Nissan «les véhicules autonomes pourront être commercialisés en Europe à partir de 2020». La première génération ne se passera pas vraiment d’un conducteur, mais on peut penser que des véhicules totalement autonomes, comme la Google-car (5), sillonneront les routes françaises d’ici une dizaine d’années.

La conséquence probable de cette mise en circulation est que les chauffeurs salariés seront susceptibles d’être remplacés par une telle voiture en une à deux générations automobiles, c’est-à-dire entre quatre et huit ans. Tous les chauffeurs ne disparaîtront pas, car il y aura toujours des trajets qui nécessitent une interaction humaine, mais une bonne partie d’entre eux sera devenue moins nécessaire, sinon inutile, en quelques années.

Des métiers comme ceux de plombier ou de psychologue ne disparaîtront sans doute jamais, mais nos économies globalisées rendent la robotisation inéluctable pour un grand nombre d’activités. Cette globalisation nous impose d’ailleurs d’investir dès aujourd’hui, et puissamment, dans les technologies de la robotique. Sans cela, nous subirons une robotisation du travail délocalisée, nous serons incapables d’intégrer ses effets dans nos projets sociaux et politiques, et nous serons les canuts de demain.

VERS UNE SOCIÉTÉ OISIVE ?

Grâce à la robotisation, la substitution du capital au travail peut devenir infinie. On peut imaginer une personne qui possède un capital composé d’une forêt, d’un bâtiment et de robots. Certains de ses robots couperaient des arbres qu’ils débiteraient en planches, tandis que d’autres en replanteraient, d’autres encore fabriqueraient des chaises en bois et les emballeraient, et c’est un véhicule autonome qui viendrait prendre livraison des commandes passées sur Internet. Dans ce cas, le capital seul suffirait à produire des biens directement. S’il n’est pas certain que cet exemple extrême existe un jour, il faut néanmoins s’attendre à ce que le développement de la robotisation augmente violemment les mécanismes de concentration de la richesse vers le patrimoine et réduise d’autant sa redistribution par le travail.

Les forts taux de croissance ne reviendront plus, et nos sociétés supportent mal 10% de chômeurs. Mais bientôt ce seront 30%, ou plus, des travailleurs d’aujourd’hui qui seront remplacés par des systèmes robotisés. Nos sociétés sont-elles préparées à supporter l’ingression de tels taux de chômage ?

Des solutions économiques viennent à l’esprit, comme la création de fiscalités qui délestent le travail humain de toutes formes de charges et taxent lourdement le capital productif afin d’obtenir un système alternatif de redistribution. Mais ces solutions soulèvent de nouvelles questions : comment généraliser de tels impôts sur la planète ? Au niveau d’un pays, qui paiera les rentes à ceux dont le travail est devenu inutile ? Une personne qui aura un emploi devra-t-elle gagner plus, et si oui, selon quelle logique ? Le travail devenu rare sera-t-il un privilège ?

Enfin, le travail est un facteur d’identité et d’intégration sociale irremplaçable pour la majorité d’entre nous. Une société basée sur l’oisiveté nous reste tout simplement inimaginable. Serons-nous néanmoins capables de l’inventer ? Que veulent dire les notions de progrès si nous faisons l’économie de cette réflexion ?

La robotisation qui arrive impose à nos sociétés de se repenser sans le travail comme norme. Si bien que la question à laquelle les partis politiques doivent répondre n’est plus «comment revenir à l’économie du plein-emploi», mais «comment se préparer à l’économie de l’emploi rare». Ne pas y répondre, ne pas développer une nouvelle idéologie autour du travail, c’est faire le choix de la misère la plus sombre pour nos enfants.

(1) http://asimo.honda.com/
(2) http://asimo.honda.com/asimotv/
(3) http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2014/03/18/01007-20140318ARTFIG00108-romeo-le-robot-humanoide-made-in-france-devoile-pour-la-premiere-fois.php
(4) http://www.lesechos.fr/03/06/2014/lesechos.fr/0203539871707_les-voitures-autonomes-de-renault-sur-les-routes-des-2018.htm
(5) http://www.01net.com/editorial/573853/les-google-cars-seront-accessibles-au-grand-public-dici-cinq-ans/
François BUGEON ingénieur-chercheur


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