mercredi 10 juin 2015

Manuel Valls tourne un peu plus le dos aux salariés

PAR MATHILDE GOANEC  | 09 JUIN 2015 | 

Si Manuel Valls aime l’entreprise, il aime encore plus le patronat. Avec ses mesures pour l’emploi, le premier ministre s’attache à répondre point par point aux demandes des employeurs, quitte à détricoter un peu plus le code du travail.

 Il paraît que quand les socialistes arrivent au pouvoir, le premier de leur souci est de rassurer le patronat, qui a tôt fait de les caricaturer rouge sang. Mais rassurant ne veut pas dire servile. Une nuance que Manuel Valls semble avoir définitivement enterrée. Prenant appui sur la volonté légitime de donner un coup de pouce aux TPE et PME (les très petites, petites et moyennes entreprises), le premier ministre annonce un catalogue de nouvelles mesures qui sont autant de coups de canif dans la protection des salariés. Surtout, après les lois Macron et Rebsamen, il sanctuarise l’idée que c’est le code du travail qui crée le chômage, et non pas le manque d’activité économique.

Le chef de Matignon avait promis aux syndicats reçus la semaine dernière qu’il ne toucherait pas au CDI, véritable casus belli et ligne rouge pour un certain nombre de militants socialistes. Une fois cela acté, le premier ministre a sûrement estimé avoir les coudées suffisamment franches pour rogner sur les fondamentaux du droit social à la française. À commencer par l’extension du recours aux CDD, qui pourront désormais être renouvelés deux fois, au lieu d’une aujourd’hui (dans une limite de 18 mois consécutifs). « Une souplesse de bon sens », assure le premier ministre. La génération précaire appréciera : après une flopée de stages, ce n’est plus un mais deux CDD que les jeunes arrivant sur le marché du travail pourront enchaîner avant d’avoir le privilège de peut-être enfin accéder au CDI. La dernière étude de l’Insee sur les inégalités est pourtant sévère sur la dislocation du marché du travail et la pauvreté grandissante dans laquelle vivent les Français de moins de 30 ans. Les abus étaient déjà nombreux, ils sont désormais entérinés au sommet de l’État. Plus que jamais, la précarité devient la norme, dans une veine libérale assumée. Validée par le président François Hollande, celui là-même qui, à l’été 2012, à la tribune de la première «conférence sociale» de son quinquennat sous les ors du Palais d’Iena, promettait de refaire du CDI la norme et de s’attaquer à l’explosion des contrats courts.

Le plafonnement des indemnités prud’homales, en fonction de la taille de l’entreprise et de l’ancienneté des salariés, d’apparence plus technique, n’en est pas moins lourd de conséquences. « Nous voulons apporter des réponses aux employeurs qui parfois hésitent à embaucher parce que l’éventualité d’une procédure de licenciement conflictuelle les freine », plaide Manuel Valls. Dans la logique socialiste, le licenciement est de moins en moins un accident de parcours. Il se calcule, se prévoit, se provisionne. Or en mêlant barèmes, plafond et plancher, Manuel Valls marche sur un fil. Il évite a priori le couperet constitutionnel, qui exige que le juge soit maître de sa sanction, mais risque de provoquer l’ire des syndicats, CFDT compris, même s'il a pris soin d’exclure les cas les plus graves de sa réforme. Pour le moment, seules les PME sont concernées. Les barèmes pour les entreprises de plus de 250 salariés seront examinés ultérieurement,« par les parlementaires ».

Dans ce gouvernement socialiste, une boulette de François Rebsamen devient également, le temps aidant, une réforme apte à booster le business. Ainsi la question des seuils sociaux dans les entreprises. Ils ont déjà été assouplis dans la loi sur la modernisation du dialogue social ainsi que dans la loi Macron. Désormais, les petites entreprises qui passeront les seuils des 10 et 50 salariés auront un délai de trois ans pour s’acquitter de leurs nouvelles obligations fiscales et sociales. Les appels du pied de Pierre Gattaz au Medef et de François Asselin à la CGPME ont bien été entendus. Ces derniers se sont d’ailleurs félicités, à grand renfort de communiqués de presse et de déclarations, de ces« bonnes initiatives ».

Sur les accords de maintien dans l’emploi aussi, le gouvernement joue encore une fois contre le salarié. Initiés par l’accord national interprofessionnel (ANI) voté en 2013 pour permettre aux entreprises de temporairement réduire les salaires tout en augmentant le temps de travail en cas de difficultés économiques, une poignée seulement ont finalement été signés. La cause de ce flop pour le patronat ? La résistance de certains salariés, qui refusent de signer ces accords. Ils peuvent être licenciés, mais pour raison économique, avec intervention de l’inspection du travail et indemnités afférentes. Une contrainte désormais levée.

Par compensation, le premier ministre a largement communiqué sur sa prime à la première embauche qui sera immédiatement versée aux toutes petites entreprises n’ayant jamais embauché. Quatre mille euros censés pousser les tout petits à franchir le pas, qu’ils embauchent en CDI ou en CDD. Plus de 60 000 emplois pourraient ainsi être créés selon Matignon. Une mesure séduisante a priori, mais qui arrive après une série d’incitations à l’emploi trop rarement évaluées. Le gouvernement a-t-il pris la mesure de l’échec du contrat de génération, qui inclut lui aussi une aide de quelques milliers d’euros aux TPE et PME pour chaque embauche ? Que dire aussi des millions d’euros distribués dans le cadre du CICE ou du Pacte de responsabilité, alors même que le patron des patrons, Pierre Gattaz, s’assoit sur ses engagements sans vergogne ?

Enfin, c’est la méthode qui choque. Les mutations induites par cette série de mesures seront profondes. Pour éviter la controverse, elles vont s’agréger, par la petite porte des amendements, à deux textes différents, les très fourre-tout lois Rebsamen et Macron (dont on voit déjà les limites avec un possible recours à un deuxième 49.3). Drôle de manière de concevoir le monde du travail, ainsi que la démocratie.


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