mardi 2 décembre 2014

Les robots vont-ils tuer nos emplois ?

PAR MARC CHEVALLIER 30/11/2014

Pour empêcher l'explosion du chômage et des inégalités, l'une des réponses incontournables devrait alors être... la réduction du temps de travail.

En 2011, le logiciel d’intelligence artificielle Watson, mis au point par IBM, avait créé la sensation aux Etats-Unis en remportant la finale de Jeopardy ! face à deux champions du jeu télévisé. Depuis il a trouvé des applications moins ludiques : selon IBM, il est désormais capable d’établir des diagnostics médicaux pour le dépistage du cancer avec une plus grande fiabilité que des médecins humains, ainsi que de proposer des traitements adaptés au profil des patients.

Le cas Watson illustre la rapidité et l’ampleur des progrès en cours des machines apprenantes, de la numérisation et des big data. A l’instar des précédentes révolutions industrielles, ceux-ci sont amenés à bouleverser profondément le monde du travail, menaçant de disparition des millions d’emplois, selon plusieurs études récentes.

La révolution digitale entraîne une transformation radicale des modes de production, ouvrant un nouveau cycle de destruction créatrice

La révolution digitale en cours « se caractérise par une extension sans précédent des possibilités d’automatisation, qui interroge la place de l’homme dans les processus de production, voire de décision », affirme ainsi une récente étude du cabinet Roland Berger. Elle entraîne « une transformation radicale des modes de production », ouvrant« un nouveau cycle de destruction créatrice ».

Les emplois qualifiés pas épargnés

Non seulement cette nouvelle vague d’automatisation menace un peu plus les métiers déjà fortement touchés par la robotisation, historiquement situés dans l’industrie, mais elle concerne désormais des emplois qualifiés à fort contenu intellectuel, qu’on croyait protégés jusqu’ici. Des métiers aussi divers que ceux de courtier d’assurances, analyste juridique, employé de laboratoire d’analyse médicale apparaissent d’ores et déjà sur la sellette.


Le processus apparaît en particulier déjà bien avancé dans les secteurs de la banque ou des assurances, où le traitement de l'information est largement automatisé. Appliquant à la France l’analyse menée par l’université d’Oxford en 2013 pour les Etats-Unis, le cabinet Roland Berger estime que 42% des emplois français connaissent un risque élevé (plus de 70%) d’être automatisés d’ici vingt ans. De son côté, au terme d’un travail similaire, le think tank européen Bruegel parvient à la conclusion que presque 50% des emplois français pourraient être concernés. Selon Bruegel, la France n’a rien d’une exception en Europe : l’Allemagne (51% des emplois concernés), mais surtout les pays d’Europe du Sud comme l’Espagne (55%), l’Italie (56%) et d’Europe de l’Est, tels la Pologne (56%) ou la Roumanie (62%) seront plus touchés.

Evolution des métiers

L’automatisation des tâches n’est pas systématiquement synonyme de destruction d’emplois, prennent cependant soin de souligner Roland Berger et Bruegel, qui précisent que leurs estimations sont basées sur les emplois tels qu’ils existent actuellement : débarrassés de leurs aspects les plus répétitifs – les tâches automatisables –, les métiers sont en effet amenés à évoluer pour se recentrer sur des taches à plus forte valeur ajoutée, impliquant par exemple le contact humain ou la créativité.

Ces estimations ne tiennent pas compte non plus des nouveaux emplois qui verront le jour grâce à cette automatisation. « Mais les emplois créés ne se substitueront pas aux emplois détruits, ni en termes de compétences requises, ni en termes de positionnement sur la chaîne de valeur, ni même en termes de répartition géographique », soulignent les experts de Roland Berger.

L’automatisation risque d’accélérer la concentration de l’emploi dans les métropoles

L’automatisation risque en effet d’accélérer la concentration de la création de valeur, et donc de l’emploi, dans les métropoles les plus denses en compétences. Sur le plan industriel, elle devrait profiter aux grands « infomédiaires » – Google, Apple, Facebook, Amazon… – qui s’insèrent dans les chaînes de valeur d’un nombre croissant de secteurs et y conquièrent une position de force grâce aux volumes gigantesques d’informations qu’ils collectent sur les utilisateurs. Ceux-ci semblent dès lors appelés à conquérir des positions de monopole sans précédent. Enfin, en s’attaquant aux activités tertiaires, l’automatisation menace les emplois qualifiés et bien rémunérés qui forment l’ossature des classes moyennes. De quoi déstabiliser le cœur des sociétés des pays développés.

Anticipation

Faudra-t-il alors interdire les « licenciements robotiques » ? Le remède serait pire que le mal, insiste le cabinet Roland Berger, qui souligne à quel point le retard pris par les PME de l’industrie française pour se robotiser a nui à leur compétitivité, et donc in fine a détruit de nombreux emplois. La réponse passerait plutôt par l’anticipation de ces tendances, en soutenant l’investissement des entreprises, en accompagnant la transition des secteurs et des personnes concernés et en particulier en mettant le paquet sur la formation et la mobilité de la main-d’œuvre.

La véritable question n’est pas celle du refus du progrès technique, mais de la manière dont les gains de productivité qu’il génère sont partagés

Au XVIIIe siècle, la révolution agricole a fait craindre l'explosion du chômage de masse. Il n'en a rien été : le progrès technique dans l’agriculture a fait bondir la production et baisser les prix, avec pour résultat d’augmenter le pouvoir d’achat, tout en « libérant » une importante quantité de main-d’œuvre qui a trouvé à s’employer dans l’industrie naissante et permis son essor. Le même « déversement », pour employer le terme popularisé par l'économiste et démographe français Alfred Sauvy, s’est observé durant la deuxième moitié du XXe siècle de l’industrie vers les services.

La véritable question n’est donc pas de savoir s'il faut refuser le progrès technique ou bien l'accompagner, mais de déterminer la manière dont les gains de productivité qu’il génère seront partagés. Dans l’après-guerre, ceux-ci ont été partagés équitablement entre les entreprises (sous forme de profits) et les salariés (sous forme d’emplois et d’augmentations de salaires), donnant naissance à la dynamique vertueuse des Trente Glorieuses. Jusqu’à ce que les chocs pétroliers, la financiarisation des entreprises et la mondialisation ne mettent à mal ce compromis historique.

Que faire des gains de productivité ?

Les gains de productivité permis par l’automatisation permettront-ils d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés et de créer de nouveaux emplois pour satisfaire des besoins sociaux encore mal adressés (dans la santé, l’éducation, la protection de l’environnement etc.) ? Ou bien seront-ils intégralement empochés par de grands monopoles mondiaux et leurs actionnaires, creusant un peu plus les inégalités ? Telle est au fond la question que pose la troisième révolution industrielle en cours. Pour empêcher l'explosion du chômage et des inégalités, l'une des réponses incontournables devrait alors être... la réduction du temps de travail. Sur le long cours, celle-ci a en effet toujours accompagné l'amélioration de la productivité. En 1930, John Maynard Keynes prédisait même qu'avant la fin du siècle, la technologie serait suffisamment avancée pour permettre à des pays comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis de parvenir à la semaine de travail de 15 heures. Chiche ?

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