vendredi 5 décembre 2014

Changer le nom du PS, c’est le couper de son histoire et le fragiliser, par Michel Rocard

Par Michel Rocard | 03.12.2014 |

Il est des moments où une cure de gauchisme est nécessaire.

Le Parti socialiste (PS) vit l’une des crises les plus profondes de sa longue histoire. Pourtant, quel paradoxe. Né du refus de la cruauté inhérente au capitalisme, ce parti s’est formé autour de la certitude longtemps affirmée, puis oubliée sans être pour autant démentie, que le capitalisme était caractérisé par une instabilité structurelle qui finirait par l’emporter. Or le capitalisme est toujours là.

Il a survécu à deux guerres mondiales et aux deux crises les plus gigantesques de son histoire (1929, 2006). Le capitalisme semble maintenant entré dans une période de convulsions, de drames, et de contradictions dont on ne voit guère comment il pourrait sortir.

C’est dans cette situation, que certains, y compris dans nos rangs, et faute d’avoir vu le PS de France porteur de solutions, veulent déclarer sa désuétude et programmer sa disparition. Ce serait pire qu’une folie, une faute et sans doute un geste suicidaire pour la France.

Les forces de progrès ont toujours besoin d’un emblème, d’un nom qui soit un signe de rassemblement. Dans cette période inquiétante où s’effondrent nos anciennes convictions et nos savoirs, la seule certitude qui demeure est que la somme des intérêts individuels qui constitue le marché est incapable de définir et de défendre l’intérêt général.

Certes, la liberté fut si menacée au XXe siècle qu’il ne faut transiger en rien sur sa priorité. Mais l’histoire a fait que le nom de la social-démocratie porte toujours la trace et l’honneur de ces combats. Et ce qui est menacé aujourd’hui est l’intérêt général. Il faut assurer leur compatibilité. Le nom du socialisme, s’il n’a plus guère de contenu concret, dit au moins cela, et ne dit même que cela.

La France n’est pas seule dans cette affaire, et il ne s’agit pas que de nous. Si le PS français est plus affaibli que d’autres, cela ne nous donne en rien le droit de les y entraîner. La disparition du sens de l’international est une des causes majeures de l’affaissement du PS français. Or à peu près tous les objectifs qu’il faut poursuivre maintenant sont internationaux, sinon mondiaux : réguler la finance, endiguer l’effet de serre, réconcilier chrétiens et musulmans, assurer la transition énergétique, recommencer la construction européenne, établir avec le milliard de Chinois ces rapports d’amitié dans la société civile qui dépassent le commerce comme la diplomatie. Préservons une affiliation qui peut nous y aider, notre nom compris.

JAURÈS N’A PAS QUITTÉ LES MÉMOIRES

C’est le militantisme qu’il faut réinventer, le recréer moins électoral, plus social, territorial, environnemental et international. Nous ne le ferons pas seuls. La terre des ONG est en friche pour nous. Il n’y a aucune raison de les y laisser seules. L’affiliation internationale est ici la clé.

Dans un monde où tous les repères se diluent, les traditions prennent un poids croissant. En crise intellectuelle, la tradition socialiste au moins ne s’est pas déshonorée. Elle demeure, Jaurès n’a pas quitté les mémoires. Et puis, regardez les conservateurs de France : ils changent de nom tous les cinq ou dix ans, et ne savent même plus raconter leur histoire. Quant à l’espoir de recréer de l’émotion et du rassemblement autour d’une tradition, il est hors de portée pour eux.

L’un des drames les plus profonds de la période est la disparition du temps long. Depuis que l’écran a remplacé l’écrit, tout ce qui est complexe comme tout ce qui se situe et se comprend dans la longue durée a disparu de nos façons de réfléchir. C’est un suicide de civilisation. Les médias le leur demandant, les politiques d’aujourd’hui jouent à l’instantané (effet d’annonce…), ce qui est stupide et inefficace, et contribue à tuer leur beau métier qui consiste à planter des cèdres – des institutions, des procédures, des règles – en évitant de tirer dessus pour qu’ils poussent plus vite.

Si le consensus se fait sur la vision, il vaudra aussi pour la méthode : c’est progressivement que se mettront en place les éléments de la nouvelle société, dans l’énergie, le temps, la culture puis l’art de vivre. La machine devra continuer à marcher tout au long, ses cruautés et ses injustices ne s’effaçant que progressivement.

Cela appelle une dernière réflexion nécessaire, concernant le gauchisme. Qu’est-ce que le gauchisme sinon l’attitude consistant à refuser le discours politiquement correct auquel se sont ralliés les institutions et les chefs en place ? Il est des moments où une cure de gauchisme est nécessaire.

LA DISPARITION DU PS SERAIT PIRE QU’UNE FOLIE, CE SERAIT UNE FAUTE ET SANS DOUTE UN GESTE SUICIDAIRE POUR LA FRANCE

Le gauchisme, je connais, j’en sors, j’en suis, c’est ma famille. J’avais 16 ans, mon pays baignait dans la joie de la liberté retrouvée. Il tomba d’accord, tout entier, socialistes compris, pour entreprendre en Indochine la reconquête de son empire colonial. Je dénonçai cette honte, et me découvris gauchiste. Moins de dix ans après, rebelote, à propos de l’Algérie. L’accord était général. De nouveau, je fus gauchiste, et moins seul dès le début. Nous sauvâmes au moins l’honneur de la gauche.

Et puis un bref moment – Mai 68 – je fus un chef gauchiste, estampillé extrémiste par le ministère de l’intérieur, pour avoir osé réclamer le droit à la parole dans la société hiérarchisée.

Franchement, n’y avait-il pas aussi quelque gauchisme à proclamer, dix ans plus tard, que l’accord solennel de toute la gauche autour du programme commun de gouvernement puis des 110 propositions du candidat ne préparaient pas la vraie transformation sociale dont la France et le monde avaient besoin ?

Une cure de gauchisme n’est donc ni pour me surprendre ni pour me déplaire. Mais, mais… le fondateur du gauchisme, au fond, est un camarade à nous qui s’appelait Karl Marx. J’ai grand crainte que nos gauchistes d’aujourd’hui ne soient en train d’oublier sa plus forte leçon. Il ne l’a pas écrite comme telle, c’est sa vie qui la donne. Elle est évidente à résumer : « Camarades, c’est bien de vouloir changer le monde. Mais vous n’y arriverez que si vous commencez à travailler comme des forcenés pour comprendre comment il marche… »

En l’absence d’une soudaine explosion générale, aussi peu probable que souhaitable, ce sera lent. Le peuple que nous défendons aura toujours besoin de ses emplois, c’est-à-dire que la machine marche. Or elle ne peut fonctionner que dans ses règles, qui certes ne sont pas les nôtres, mais sont celles dont elle a besoin. Si nous avons ensemble une vraie confiance et une vraie unité autour de notre vision de l’avenir long, nous n’avons pas le droit de dérégler la machine par des brutalisations de court terme qui peuvent l’affaiblir. Il n’y a de gauchisme utile que pertinent et cohérent.


Voilà la raison qui nous fait obligation de renouvelerrenforcerréunir notre Parti socialiste, dans la France d’aujourd’hui, le seul outil de demain. Ce faisant, nous pourrions même contribuer au réveil de quelques partis frères, renforçant par là la chance de voir éclore la société des hommes à la place de celle de l’argent.

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