vendredi 22 août 2014

Pierre-Alain Muet (PS): « Une politique économique aberrante »

ENTRETIEN PAR YANNICK SANCHEZ | 20 AOÛT 2014 | 

À la lumière des annonces faites par François Hollande mercredi 20 août, le député socialiste Pierre-Alain Muet, ancien conseiller économique de Lionel Jospin, fustige le discours univoque du gouvernement sur la politique de l'offre.

Alors que François Hollande a profité de la fin de la pause estivale pour faire sa contre-offensive médiatique dans une interview au Monde dont nous détaillons les mesures, le député PS de la deuxième circonscription du Rhône, Pierre-Alain Muet, ancien conseiller économique de Lionel Jospin, s'insurge contre la politique de l'offre menée par le gouvernement « alors que le président de la République reconnaît que ce sont les politiques d'austérité qui ont enfoncé l'Europe dans la dépression ».

Dans un article paru dans le magazine L'Économie politique et que vous reprenez sur votre blog, vous parlez d'autisme du gouvernement, de déficit de la pensée macroéconomique. Vous êtes plutôt considéré comme faisant partie de la gauche modérée, d'où vient votre désaccord ?

Mon désaccord est vraiment profond, il porte sur l’inadéquation des politiques actuelles avec la réalité. Moi je ne fais pas partie de la gauche du parti, mais l’économiste que je suis est réellement effaré non seulement par la politique, mais par le discours qui est tenu, qui d’un point de vue économique est faux. On ne sort pas d’une dépression par une politique exclusive de l’offre. N’importe quel économiste ayant fait un peu de conjoncture vous le dira. 

Le discours du Bourget était la réponse pertinente à la crise, y compris dans sa composante européenne. Je n’ai pas de désaccord avec la politique pour laquelle nous avons été élus. C’est vrai qu’il manquait la compétitivité, ça faisait partie des oublis de ce programme. Mais je pense qu’avec le CICE (crédit impôt compétitivité emploi) on a fait ce qu’il fallait et que l’on n’avait pas à aller au-delà avec les 40 milliards d’allègement de charge aux entreprises.

La récession européenne a été beaucoup plus forte que prévu, notamment avec les politiques d’austérité menées dans toute l'Europe. Le FMI l'a d'ailleurs reconnu quand il a parlé de « seconde récession » en Europe. Mais le problème de compétitivité en France existe depuis dix ans, ce n’est pas par des politiques de lutte pour la compétitivité que l'on sort de la dépression, il faut une reprise de la demande.

La force des années Jospin avait été d’avoir pris des mesures pertinentes au regard de la conjoncture. Là, ce n’est pas du tout le cas. Faire de la politique de l’offre l’alpha et l’oméga de la politique économique est une absurdité. Il fallait certes maintenir le pari d’inverser la courbe du chômage mais encore fallait-il s’en donner les moyens.

Vous avez rencontré le chef de l'État en juillet. Que lui avez-vous dit concernant les principales mesures d'allègements sur la fiscalité des entreprises ?

Je lui ai dit que je trouvais la politique actuelle aberrante d’un point de vue économique. Je lui ai dit qu’il fallait agir sur l’apprentissage, élargir les emplois d’avenir, en faire des emplois jeunes parce que ça a marché en 1997 et en 2006 quand le ministre de l’emploi de l’époque, Jean-Louis Borloo, a pris des mesures qui ont eu des effets sur l’emploi. Ce n’est pas en répétant tous les jours que les mesures d’offre nous sortiront de la récession que ça va fonctionner.

Les simulations de Bercy (voir le rapport de Valérie Rabault affirmant que 250 000 emplois seraient menacés et 190 000 postes créés) montrent bien que l’effet dépressif est plus important que l’effet positif avec les allègements du coût du travail. Ce déficit de la pensée macroéconomique existait sous la droite mais je suis effaré de voir que c’est aussi vrai sous la gauche. Ça laisse entendre qu’on se serait trompé de diagnostic, mais c'est faux. Le programme de Hollande était la réponse à la crise.

Ayant été longtemps conjoncturiste, je ne comprends pas cette politique économique. Le gouvernement devrait écouter les bons économistes comme Stiglitz, Krugmann ou même Piketty. 

Que pensez-vous de l'annonce faite par François Hollande concernant la fusion de la prime pour l'emploi et du RSA activité ?

C'est une excellente annonce, il n’y avait même pas à attendre. J’ai suffisamment plaidé pour la progressivité de l’impôt sur le revenu et la CSG (contribution sociale généralisée). Bien sûr qu’il faudrait rééquilibrer les choses en redonnant du pouvoir d’achat aux ménages mais cela doit, selon moi, se faire en agissant sur le secteur non marchand. Et le gouvernement là-dessus ne va pas assez loin. Personnellement, ce qui m’a surpris, c’est le changement de pied de François Hollande dans son discours du 14 janvier sur le pacte de responsabilité.

François Hollande botte-t-il en touche lorsqu'il déplace la responsabilité de la récession actuelle sur les politiques de rigueur menées en Europe ? Pensez-vous vraiment que les Français peuvent avoir confiance en sa capacité de négociation en sachant qu'il a déjà échoué à se faire entendre sur le volet croissance dans le traité européen sur la stabilité (TSCG) ?

Il a raison lorsqu'il dit que l’essentiel de la reprise c’est l’Europe. S’est rajoutée une crise typiquement européenne quand les États-Unis faisaient le contraire de l’Europe et sortaient de la récession. À l’époque, personne n’avait conscience de la récession européenne. Il y a un vrai besoin de modifier les politiques européennes car il faut tout de même avoir conscience que la déflation européenne vient des coupes dans les salaires en Europe du Sud et que globalement ces politiques participent au fait que l’Europe ne sorte pas de la crise.

Le scénario auquel nous sommes confrontés ressemble aux années trente. Bien sûr qu’il y a une solution européenne. Roosevelt avait pris les mesures qui ont sorti l’économie américaine de la crise. Par son accent rooseveltien, le discours du Bourget était la réponse à la crise. Mais on ne peut pas dire qu'il faut changer la politique européenne et en même temps appliquer le corpus idéologique de l’Europe qui consiste à n’appliquer que des politiques de l’offre, de la compétitivité dont on sait que l’effet est de s’enfoncer encore plus dans la déflation. L’équivalent du consensus de Washington, le consensus de Bruxelles – qui est de faire uniquement des politiques de réduction massive des dépenses et du coût salarial – n’est pas la réponse pertinente. Il faut en sortir. Oui, il faut réorienter l’Europe mais il faut réorienter notre politique avec ce que l’on réclame à l’Europe.


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