lundi 5 août 2013

Changement de civilisation


René Passet : « Il faut prendre du recul pour voir qu’un autre monde est en train de naître »
PAR AGNÈS ROUSSEAUX - BASTA ! (13 MAI 2013)

René Passet
Vivons-nous une simple crise passagère ou une profonde mutation du système ? Pour l’économiste René Passet, face à un pouvoir financier qui impose son tempo, les gouvernements font fausse route en raisonnant à court terme. Il n’est pas plus tendre avec les économistes, incapables d’analyser le monde autrement que par le prisme des marchés, un peu comme l’homme des cavernes ne concevait l’univers autrement que magique. Sa solution : une « bioéconomie », seul remède à la crise de civilisation. Entretien.
Notre manière de penser l’économie dépend de notre perception du monde. Et varie totalement en fonction des époques et du progrès technique. Dans votre dernier ouvrage, vous proposez de relire l’histoire économique à la lumière de ces mutations. Quelles sont les grandes étapes de cette longue histoire ?

René Passet [1] : Ceux qui voient le monde comme une mécanique, une horloge, ne considèrent pas l’économie de la même façon que ceux qui le voient comme un système énergétique qui se dégrade. Les mêmes astronomes, armés des mêmes instruments, ne perçoivent pas les mêmes choses dans le ciel, avant et après Copernic. Quand l’homme n’a que ses sens pour comprendre le monde, l’univers lui apparaît mystérieux. C’est un univers qui chante, qui le nourrit, qui gronde aussi parfois. Des forces jaillissent de partout. Il pense que des êtres mystérieux et supérieurs le jugent, l’approuvent ou le punissent. Avant même le Néolithique, l’homme s’aperçoit que la plante dont il se nourrit pousse mieux dans les milieux humides. Ou que les déchets organiques favorisent la végétation. Il découvre ainsi les forces productives de la nature et les régularités du monde naturel. Cela va faire reculer les esprits, qui se réfugient sur les sommets des montages, comme l’Olympe. Les dieux succèdent aux esprits, le monde mythique au monde magique. La civilisation grecque marque le basculement de l’esprit vers la conceptualisation. Un tournant décisif, le début d’une réflexion sur la nature des choses, avec la philosophie, science première. On passe ensuite des dieux au pluriel à un dieu au singulier. L’activité économique est encore une activité pour le salut des âmes, dans la perspective chrétienne. Si vous ne voulez pas finir vos jours dans les lieux infernaux, il faut vivre selon les préceptes économiques des théologiens.

Peu à peu la rationalité l’emporte, et la science se laïcise. Pour Descartes et Newton, le monde fonctionne comme une horloge. C’est dans cette société « mécaniste », que naît l’école libérale classique. Au 18e siècle, Adam Smith, qui était aussi astronome [2], propose une théorie gravitationnelle de l’équilibre : le prix du marché gravite autour du « prix naturel », qui est le coût de production de l’objet, exactement comme les astres gravitent autour du soleil.

Avec la machine à vapeur apparaît une nouvelle représentation du monde...

En 1824, le physicien Sadi Carnot découvre les lois de la thermodynamique : le principe de conservation et le principe de dégradation. Imaginez un morceau de charbon. Il brûle, mais ne disparaît pas : tous ses éléments constitutifs se conservent, répandus dans l’univers. Et s’il a produit du mouvement, jamais plus il n’en produira, car il est désormais déstructuré, « dégradé ». A ce moment de l’histoire, on passe d’une représentation mécanique du monde à la société énergétique. Alors que chez Adam Smith, chez Newton, c’est l’équilibre – statique – qui compte, les lois de l’énergie sont des lois de probabilité. Quand on répand un gaz dans un volume, il va dans tous les sens, et le hasard fait qu’il se répand partout de manière homogène. Au niveau de l’individu, il n’y a pas de déterminisme apparent, mais au niveau des grands nombres, les mouvements se compensent : ce sont les lois de probabilité. On change de causalité, et d’univers : le monde est en mouvement, comme le montre aussi Darwin. Au même moment dans l’histoire économique, Marx et les socialistes se mettent à penser non pas en terme d’équilibre mais d’évolution.

Ce passage d’une représentation mécanique du monde à la société énergétique a-t-il un impact sur la vie des idées ?

Le mouvement des idées part alors dans trois directions. Avec Léon Walras, qui invente « l’équilibre général » des marchés, c’est la loi de conservation qui prime. La deuxième loi, celle de la dégradation entropique, amène à la théorie de l’autodestruction du système capitaliste, par Karl Marx. Au fil du temps, le système entropique et le système capitaliste suivent un même cheminement, ils se dégradent, se désorganisent. La loi de probabilité, on la retrouve chez Keynes [3]. Sa théorie est celle de l’incertitude radicale : les acteurs économiques agissent dans un monde incertain, dont ils ont une connaissance imparfaite. Une vision à l’opposé des analyses classiques sur la rationalité des marchés.

Vient ensuite le temps de l’immatériel et de l’information...

La société énergétique, celle de la grande industrie, fonctionne par l’accumulation de capitaux et le développement du secteur financier et bancaire. La vraie rupture entre les classes sociales apparaît. La société s’organise hiérarchiquement. Au début des années 1970 deux événements vont marquer un tournant important : la première crise du pétrole et la sortie du microprocesseur Intel. L’informatique pour tous, et nous voici dans la société informationnelle (dans le sens de « donner une forme »). Dans cet univers, la force productive est l’esprit humain. Les modes d’organisation changent complètement. De l’entreprise au monde entier, l’économie est organisée en réseaux. Le monde se vit comme unité, en temps réel. On gomme le temps et l’espace.

Est-ce l’avènement de la financiarisation de l’économie ?

L’ordinateur nous a donné le moyen du contact immédiat et la logique financière nous pousse vers une économie de rendement immédiat. Avec la politique de libération des mouvements de capitaux dans le monde, on assiste à une concentration de capital, et à la naissance d’une puissance financière supérieure à celle des États. Avec des effets désastreux pour l’économie réelle. Un exemple ? L’entreprise pharmaceutique Sanofi gagne des sommes colossales, licencie pourtant ses chercheurs et n’invente plus rien, depuis que son PDG est issu du secteur de la finance. La finalité ? Produire du dividende et non plus du médicament. On relève la barre de rentabilité, on externalise la recherche et pour le reste, on dégraisse. Les chercheurs sont désespérés, ils ne font plus leur métier.

« L’humanité est en train de résoudre son problème économique », disait Keynes, envisageant un avenir prochain où l’homme pourrait travailler trois heures par jour, grâce à l’augmentation de la productivité. Nous en sommes très loin... Avons-nous raté quelque chose ?

A toute époque, le progrès technique a pour effet d’augmenter la productivité du travail humain. La productivité accroît la quantité de valeur ajoutée. Mais la façon dont celle-ci est partagée dépend du rapport de force dans la société. Dans la vision fordiste, les intérêts des salariés et des entrepreneurs sont convergents. Henry Ford le dit très bien : « Si vous voulez vendre vos bagnoles, payez vos ouvriers ». Progrès économique et progrès social vont alors de pair. Lorsque c’est le pouvoir de la finance qui domine, le dividende se nourrit de la ponction qu’il effectue sur les autres revenus. La logique ? Réduire l’Etat, les salaires, le nombre de salariés, les protections sociales. L’augmentation de la productivité a été compensée par cette logique de la rémunération des actionnaires. Keynes a raison ! Et la semaine de 32 heures est aujourd’hui un des moyens pour rétablir le plein emploi. Keynes évoque aussi les risques psychologiques de cette évolution. Pour la première fois depuis sa création, l’homme devra faire face à son problème véritable : comment employer sa liberté arrachée aux contraintes économiques ?

Vous expliquez comment nous avons successivement fait tomber les barrières, entre espace terrestre et céleste avec Galilée, entre l’homme et l’animal avec Darwin, entre conscience et rationalité avec Freud. Que pensez-vous de cette nouvelle convergence qui s’opère, entre le vivant et la machine, avec les biotechnologies, dont vous décrivez l’importance dans votre ouvrage ?

Je ne crois pas à la fin de l’histoire, mais à la fin de l’homme. Avec les nanotechnologies et le concept « d’homme augmenté », on prévoit d’introduire dans notre sang des robots qui vont nous réparer. Et nous ne saurons bientôt plus quelle est la part humaine et quelle est la part robotique en l’homme. Nous aurons dans le cerveau des puces avec de la mémoire. Est-ce que la puce va appartenir à l’homme, ou bien le modifier ? Lorsque je m’interrogerai, la réponse arrivera un peu plus vite. Mais est-ce vraiment moi qui répondrai, ou bien est-ce l’encyclopédie Universalis, à ma disposition dans mon cerveau ? Quelles seront les conséquences de tout cela ? L’homme se crée lui-même par les efforts qu’il fournit, en travaillant pour acquérir des connaissances, en transformant le monde, comme disaient Hegel ou Marx. S’il dispose de prothèses pour faire le travail à sa place, je crains que l’homme ne se diminue lui-même. Toute prothèse est atrophiante.

Vous n’êtes pas très optimiste…

Je suis très inquiet pour l’avenir de l’humain. J’ai peur qu’arrive, dans une humanité mécanisée, robotisée, un autre homme dont on ne saura plus très bien ce qu’il est. Le grand cybernéticien Alan Turing (1912-1954) a parié qu’aux environs de l’an 2000 on ne serait plus capable, dans une conversation téléphonique, de faire la différence entre un homme et un robot. C’est une autre limite, une autre frontière. Est-ce le sens de l’évolution ? Cela a-t-il une signification ? Je n’en sais rien.

Pouvons-nous maîtriser ces bifurcations de civilisation ?

Avons-nous maîtrisé les bifurcations précédentes ? Elles sont venues au fil de l’évolution, et nous les avons suivies. Nous ne les comprenons qu’après coup, et nous nous adaptons à une nouvelle normalité qui s’établit. Les gens les ont vécues comme la fin d’un monde, sans comprendre où allait le monde nouveau. Il faut prendre du recul pour voir qu’un autre monde est en train de naître. Nous vivons aujourd’hui une confusion entre crise et mutation. Nous mélangeons deux types de crises. L’évolution est faite de ruptures et de normalité. La crise dans la normalité, c’est lorsque dans le système établi apparaissent des dysfonctionnements qui nous éloignent de la norme. C’est la crise au sens propre du terme, conjoncturelle. Le problème est alors de revenir à la norme. Si le sous-emploi est conjoncturel, on va essayer de rétablir le plein-emploi dans les normes traditionnelles, avec les moyens traditionnels.

Les crises de mutation, c’est passer d’un système à un autre. Et c’est ce que nous vivons aujourd’hui. Ce n’est pas une crise économique, mais une crise du système néolibéral. C’est la logique même du système qui a provoqué la crise des subprimes en 2008. Notre vrai problème est aujourd’hui de réussir la mutation. Or nous avons chaussé les lunettes de la crise du court terme. Un exemple : rigueur ou relance ? Tous les gouvernements raisonnent dans une logique de court terme ! Le pouvoir financier impose sa vision du temps court. Cela fausse tout, nous raisonnons à partir d’une économie complètement tronquée.

Quelles en sont les conséquences ?

Dans le temps court, le salaire n’est qu’une charge pour les entreprises, et la protection sociale, une charge pour la société. L’impôt, c’est un prélèvement et rien d’autre. Si vous abordez le problème avec cette vision, cela vous amène forcément à la rigueur : il faut restreindre la dépense publique. Même si la crise ne vient pas de la dépense publique mais du secteur privé, en premier lieu des banques avec la crise des subprimes. Il faut comprimer les salaires, travailler plus pour gagner moins ! Le résultat ? Un cercle vicieux. Le second effet apparaît dans un temps plus long : le salaire, c’est le support d’un revenu qui alimente la dépense de consommation. L’impôt, c’est le support de la dépense publique. Il ne se perd pas dans les sables du désert ! Toute cette dimension nous manque. Les gouvernements sont piégés dans cette logique de court terme, alors que le vrai problème est celui de la réussite de la mutation.

« L’homme des cavernes pouvait difficilement – à la lumière de son expérience – se faire une conception de l’univers autre que magique », écrivez-vous. Alors que les marchés sont aujourd’hui présentés comme des oracles, ne serions-nous pas capables de faire mieux que l’homme des cavernes ?

Dans une vision à court terme, la tendance est de défendre les structures existantes. Avec de très bonnes intentions, on s’enferme dans des contradictions totales. Les gouvernements mènent une politique de réduction des dépenses énergétiques, et de l’autre côté, n’acceptent pas la diminution du nombre de raffineries, qui découle de cette politique. Le problème n’est pas que les salariés des raffineries restent raffineurs, mais de les employer dans de nouvelles structures, et de voir quelles sont les structures nécessaires à la poursuite de la mutation. En essayant de régler un problème de long terme avec des instruments de court terme, nous nous enfonçons de plus en plus dans la crise, à force de prendre des décisions à contre-sens. Au contraire, anticiper ces transitions, cette mutation, devrait pourtant inspirer non pas le discours des politiques, mais leur action. On se trompera forcément, mais par tâtonnement nous finirons par trouver la voie pour nous engager dans un cercle vertueux.

Vous définissez la science économique comme un « système de pensée nombriliste, clos sur lui-même, replié sur la contemplation inlassable des mêmes équilibres et des mêmes procédures d’optimisation ». De quelle science économique avons-nous besoin aujourd’hui ?

Lorsque j’ai publié mon livre L’économique et le vivant en 1979, les économistes m’ont dit : « Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Ce n’est pas de l’économie. »Depuis, beaucoup ont compris l’importance de la transdisciplinarité. Confrontés aux mêmes réalités, chaque discipline interroge le monde sous un angle différent. La nature de mes questions me définit comme économiste. C’est le lieu d’où je questionne le monde, mais ce n’est pas une prison ! Si les chercheurs refusent de se hasarder dans les zones d’interférences, certains problèmes ne seront jamais abordés. C’est pourtant dans ces zones que se joue aujourd’hui la survie de l’humanité.

Comment recréer des espaces de réflexion interdisciplinaires ?

Il y a aujourd’hui des courants intéressants, comme celui des Économistes atterrés. On parle en ce moment de la reconstitution d’une structure qui ressemblerait à celle du Plan, avec une ambition de prospective. J’étais très favorable à la planification française, souple. Les objectifs des secteurs stratégiques – sidérurgie, transports, énergie,...– étaient définis au sein des Commissions du Plan, qui réunissaient des grands fonctionnaires, des intellectuels, mais aussi des syndicats ouvriers et patronaux. Une concertation sociale permanente. C’est ce qui nous manque le plus aujourd’hui. De cette rencontre sortaient des objectifs, ensuite arbitrés par l’État. On n’avait pas besoin de faire des grands discours sur la concertation, on la faisait !

Vous défendez le principe de bioéconomie. En quoi cela consiste-t-il ?

Ce n’est pas une nouvelle branche de l’économie : c’est l’économie qui doit se faire bio. La destruction de la biosphère menace actuellement l’humanité. Et si on détruit la biosphère, cela ne sert à rien de disserter sur le Plan et l’avenir de l’humanité : il n’y aura pas d’avenir, pas d’économie. Le monde est arrivé à ce moment où il atteint et dépasse la capacité de charge de la biosphère. Toutes les conventions sur lesquelles était fondée l’économie sont remises en cause. La nature était considérée comme inépuisable ? Elle devient un facteur rare que l’on épuise. Et c’est une des conventions fondatrices de l’économie qui disparaît. Quand on cherche la combinaison optimale de facteurs de production, ou de biens de consommation qui vont vous donner le maximum de satisfaction, on procède par substitution de biens. C’est la deuxième convention de base de l’économie : on optimise en substituant. Cela n’est plus vrai aujourd’hui : quand vous atteignez les limites de la biosphère, certaines ressources ne peuvent plus être augmentés. La substituabilité disparaît. Troisième convention : « Le plus est le mieux » – c’est en consommant davantage que l’on accroît le bien-être. Nous atteignons aussi la limite où ce n’est plus vrai. Le paradoxe d’Easterlin montre que dans les nations les plus riches le bien-être et le revenu ne vont plus de pair. Il arrive un moment où la relation s’inverse carrément.

Comment l’économie peut-elle intégrer la question de la reproduction des ressources et du vivant ?

L’économie est faite pour optimiser – ce n’est pas un vilain mot !. Cela veut dire tirer le maximum de résultats, de choses positives, de satisfaction, à partir des moyens limités dont nous disposons. Mais elle doit intégrer ces stratégies d’optimisation (de production et de consommation) dans les limites des mécanismes de reproduction du système. Par exemple les rythmes de reproduction des matières premières, des ressources renouvelables : « Voilà, on peut piocher dans les réserves jusque ce niveau, mais pas plus ». Ou des rythmes de prélèvement des ressources non renouvelables compatibles avec des perspectives de relève, de remplacement de ces ressources. L’économie retrouve alors sa vraie vocation : une science d’optimisation sous contrainte. Sans limites, il n’y a pas d’économie, car cela veut dire que l’on peut faire n’importe quoi !

Le système économique actuel peut-il s’adapter à cette contrainte ?

Certains économistes voudraient que l’économie soit une science qui prenne en compte toutes les contraintes, sauf celles de l’environnement ! Dans un système vivant, vous avez une finalité qui domine, c’est la finalité du système tout entier : maintenir et reproduire sa structure dans le temps, alors que les lois physiques, les lois d’entropie voudraient qu’il se désagrège. Cette finalité est supérieure à toutes les autres. Dans une horloge, vous avez une seule loi, du ressort à la mécanique entière. C’est très différent dans le vivant : on fait un saut dans le vivant, en passant de la molécule à la cellule, c’est une autre logique qui s’applique. Et la logique de l’organe est différente de la somme des logiques des cellules. La pensée n’est pas la somme des atomes du cerveau. En économie, c’est pareil. C’est le paradoxe de Condorcet : il faut un choix à un moment donné, la logique du tout n’est pas la somme des logiques particulières. On est loin de la « main invisible du marché » d’Adam Smith, qui transforme mécaniquement les intérêts individuels en intérêt général.

Vous parlez de « point critique », ce moment qui nous fait basculer dans un autre univers. Sommes-nous en train d’atteindre un tel point critique ?

Nous vivons une crise de civilisation, mais le dépérissement du système sera long, car trop d’intérêts sont en jeu. Pour l’univers de la finance, ce système n’est pas mauvais : quand tout va bien, il engrange les bénéfices, et quand tout va mal, la charge retombe sur la collectivité. La faillite d’un paradigme n’implique pas qu’il disparaisse immédiatement. Il faut qu’une théorie concurrente soit prête à prendre la place, comme le dit l’historien Thomas Kuhn. Le point critique, c’est lorsqu’un écart évolutif, au lieu d’être ramené vers la moyenne, bifurque de manière totalement imprévisible vers une nouvelle voie d’évolution.

Tout progrès est ambigu, à la fois chance et péril. C’est nous qui choisissons. Le progrès technique nous donne actuellement la possibilité de gagner plus, de vivre mieux, de travailler moins. Et comme nous avons libéré la cupidité des hommes, avec la libéralisation du secteur financier, ce sont les effets pervers qui l’emportent. Ce qui devrait être un instrument de libération des hommes devient un moyen d’asservissement. L’homme devient la variable d’ajustement de l’augmentation des dividendes. Tant qu’on n’aura pas tranché le nœud gordien du pouvoir de la finance, rien ne sera possible. Parce que le rapport de force agira toujours dans cette direction, et le côté pervers du progrès technique l’emportera toujours. Sous la pression des événements et des drames qui se multiplieront, serons-nous amenés à le faire à temps ? Sans cela, nous courrons à la catastrophe. Il faut continuer à alerter et à travailler dans ce sens.

Propos recueillis par Agnès Rousseaux

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