mardi 30 juillet 2013

Neuf mesures urgentes pour remettre les banques à leur place

29 juillet par Olivier Bonfond

Sommaire

1. Introduction : les banques ne sont plus ce qu’elles étaient
2. Quelques constats sur la capacité de nuisance des grandes banques
3. De quel type de secteur bancaire avons-nous besoin ?
4. Neuf mesures urgentes pour remettre les banques à leur place



1. INTRODUCTION : LES BANQUES NE SONT PLUS CE QU’ELLES ÉTAIENT

Bien que ces théories soient encore enseignées dans la plupart des universités européennes, les grandes banques ne constituent plus aujourd’hui des intermédiaires entre les épargnants et les investisseurs afin de financer l’économie réelle. Au fur et à mesure des dérégulations des années 1980 et 1990, les banques sont devenues des institutions surpuissantes qui utilisent toutes les ressources à leur portée (dont l’épargne des particuliers) pour mener des activités financières hautement spéculatives, afin de générer un maximum de profits à court terme pour les actionnaires.

Plutôt que de recapitaliser aveuglément les banques (les sauvetages bancaires ont déjà coûté plus de 35 milliards d’euros aux pouvoirs publics belges, soit environ 8% de son PIB) en les laissant continuer à spéculer à leur guise, il est urgent de réguler de manière très stricte le secteur bancaire et remettre la finance au service de l’économie réelle et d’un développement d’économie durable.

2. QUELQUES CONSTATS SUR LA CAPACITÉ DE NUISANCE DES GRANDES BANQUES

La crise bancaire est loin d’être terminée

Malgré les discours régulièrement prononcés sur le fait que la crise financière est derrière nous, le secteur bancaire est tout sauf assaini. Les comportements spéculatifs restent la règle et les produits toxiques continuent de se développer au sein des institutions financières. Avec des actifs de 60.000 milliards de dollars fin 2011 à l’échelle mondiale, le « Shadow Banking System », mécanisme qui permet aux banques de gérer des opérations bancaires très risquées hors bilan et en dehors de toute régulation publique, montre à quel point une nouvelle crise financière, de grande ampleur, est parfaitement possible.

Comme le mettait en évidence le journal l’Echo, au sein de l’Union Européenne, « plus de 1.000 milliards d’euros d’actifs illiquides ou douteux dormiraient encore dans des structures de défaisance (bad bank). En outre, ce chiffre oublie de mentionner les centaines de milliards d’euros de créances douteuses et de fonds communs de créances toujours inscrits aux bilans des banques. » |1|

Si on prend le seul cas de Dexia, la conclusion est identique. Dexia SA dispose d’un bilan de 400 milliards d’euros et d’un hors bilan de minimum 900 milliards d’euros, hors bilan dont on ne connaît pas exactement la nature, sauf le fait que la grande majorité des actifs qui le compose sont hautement toxiques. Lorsqu’on compare ces montants avec l’argent public qui a été injecté dans la banque jusqu’à présent, à savoir 8,9 milliards d’euros, on comprend à quel point le « cas Dexia » n’est pas du tout réglé.

Les banques continuent de spéculer et de créer des produits toxiques

Les nombreux discours sur la nécessité de réguler le capitalisme financier ne se sont en réalité jamais concrétisés. Rien d’étonnant alors que les comportements spéculatifs soient restés la règle au sein des grandes banques, assurances et autres fonds de pension. On assiste même à un retour en force de certains produits toxiques à l’origine de la crise tels que les CDO |2|.

Pourtant des initiatives sont possibles et certaines ont même été prises temporairement. En effet, l’Union européenne a approuvé, en février 2012, une réglementation pour encadrer et limiter les risques liés aux ventes à découvert, une pratique interdite dans plusieurs pays et jugée en partie responsable des mouvements spéculatifs sur les marchés. Elle donnait "temporairement" le pouvoir aux autorités de marché nationales "d’imposer des restrictions à la vente à découvert en cas de situation exceptionnelle menaçant la stabilité financière ou la confiance des marchés dans un Etat ou dans l’Union". Elle obligeait, en outre, les opérateurs qui recourent aux ventes à découvert "à nu" sur les actions et obligations d’Etat à fournir des garanties qu’ils pourront livrer les titres qu’ils promettent.

La vente à découvert consiste à emprunter un actif dont on pense que le prix va baisser et à le vendre, avec l’espoir d’empocher une différence au moment où il faudra le racheter pour le rendre au prêteur. Elles peuvent prendre une forme plus poussée, dites "ventes à nu" quand l’investisseur vend un titre qu’il ne possède pas. Cette pratique financière a été mise en cause pendant la crise financière de 2008 et aux débuts de la crise de la dette souveraine. La Belgique et 3 autres pays européens - la France, l’Italie et l’Espagne - ont décidé d’interdire cette pratique sur certaines valeurs financières. L’Allemagne a, pour sa part, interdit les ventes à nu sur toutes les valeurs cotées depuis mai 2010.

Les banques ne financent pas l’économie réelle

Malgré les plans d’aides massifs que les banques ont reçu, les banques privées continuent de refuser de financer l’économie réelle. La raison pour laquelle les banques rechignent à financer l’économie réelle est double :

1) Les profits sont beaucoup plus importants en réalisant des achats et ventes de produits financiers hautement spéculatifs qu’en accordant des prêts aux entreprises et aux particuliers. Comme on n’a pas régulé le secteur, rien d’étonnant à ce que les banques continuent de privilégier cette voie.

2) Afin de respecter les critères de Bâle II, les grandes banques doivent diminuer leur ratio « fonds propres/total actif ». Les actifs étant pondérés par le « risque » dans le calcul du ratio, et les crédits aux entreprises et particuliers étant considérés comme risqués (contrairement à d’autres actifs considérées comme ayant un risque nul et donc non pris en compte dans le calcul du ratio), les banques ont logiquement tendance à favoriser les opérations de marchés (trading), au détriment des opérations de crédits classiques. |3|

Les banques ont mis les finances publiques en grand danger

Après des années de spéculation financière insensée, en 2008 puis en 2010, les pouvoirs publics ont massivement injecté des capitaux dans les banques belges pour les sauver de la faillite. Ces sauvetages bancaires, dont le coût total s’élève déjà à plus de 35 milliards d’euros, soit environ 8% du PIB belge, ont provoqué une explosion de la dette publique. En effet, ces sauvetages ont été intégralement financés via l’émission de titres de la dette publique sur les marchés financiers. Tandis que les banques continuent de spéculer à leur guise, de nouvelles crises et donc de nouvelles injections de capitaux sont à prévoir.
La crise financière a provoqué un ralentissement de l’activité économique, ce qui a fortement aggravé les déficits publics, via une diminution des recettes fiscales et une augmentation des dépenses sociales. Si la récession devait perdurer, les finances publiques vont beaucoup souffrir. Une croissance économique durable dans la zone euro doit être relancée car sans croissance, le contrecoup social de l’austérité sera dévastateur.

Les garanties accordées aux banques en difficultés constituent également un risque de grande ampleur pour les finances publiques belges. La seule garantie accordée à Dexia SA représente un montant de 43,7 milliards d’euros (sans compter les intérêts et les accessoires). Cela correspond à 11% du Produit intérieur brut (PIB) de la Belgique, et à près de 25% du budget de l’État. Concrètement, si Dexia ne parvient pas à rembourser ses dettes, alors les pouvoirs publics devront les rembourser immédiatement. L’augmentation de la dette publique qui en résulterait serait, à coup sûr, utilisée comme arme de chantage pour justifier une dose supplémentaire d’austérité contre la population.

Les banques sont devenues « too big to fail »

Au fil des privatisations, dérégulation, fusions et acquisitions, les institutions financières ont atteint des tailles démesurées. Sur les 6.000 banques présentes en Europe, les 15 plus grandes représentent plus de 40% du total du secteur bancaire et 150% du PIB européen.

Cela implique concrètement que la faillite d’une seule de ces institutions géantes peut déstabiliser tout le système financier mondial. C’est en ce sens qu’on dit qu’elles sont « too big to fail », c’est-à-dire « trop grosse pour tomber »
Les banques privées disposent d’un monopole sur les dépôts, les crédits et les systèmes de paiement

La privatisation quasi totale du secteur bancaire donne, de fait, un monopole aux banques privées sur des outils fondamentaux pour le bon fonctionnement de l’économie : les dépôts et les prêts, mais aussi tous les systèmes de paiement. Si les banques devaient aujourd’hui s’effondrer, c’est toute l’économie qui s’effondrerait. Ces éléments permettent aux banques de réaliser une véritable prise d’otage de la société et mettent les Etats dans une situation telle qu’ils sont dans l’obligation d’intervenir pour refinancer les banques à coup de milliards d’euros.
Les banques privées ont le contrôle de la politique monétaire

En signant le Traité de Maastricht en 1992, les Etats ont décidé de remettre dans les mains des banques privées la politique monétaire : en s’interdisant d’emprunter directement à leurs banques centrales ou à la banque centrale européenne et en s’obligeant à se financer auprès des marchés financiers. Cela a évidemment donné un grand pouvoir aux banques privées, qui sont capables à tout moment de déstabiliser les finances publiques d’un Etat en leur coupant leur source de financement ou en augmentant fortement et brusquement les taux auxquels ils peuvent se financer.

Le secteur bancaire est dérégulé

Les principales règles mises en place en réaction à la crise financière de 1929 pour protéger la société d’une nouvelle crise ont été peu à peu abrogées, laissant libre cours à toute sorte de montages financiers aventureux et irresponsables. Par exemple, le Président Roosevelt en 1933 avait fait passer une loi imposant la séparation des banques de dépôts et des banques d’investissement, garantissant par là que l’argent des épargnants ne serait pas investi en bourse. Dans les années 1970, les banques se sont mises à contourner cette loi qui a fini par être abrogée dans les années 1990 et les banques de dépôt ont à nouveau été autorisées à faire des investissements et à vendre des assurances. Cela leur a donné un énorme pouvoir sur l’Etat. Quand la bourse s’est effondrée, l’Etat a alors été mis sous pression maximum pour offrir des garanties et recapitaliser les banques afin d’éviter qu’elles tombent en faillite et que les dépôts des épargnants ne partent en fumée.

3. DE QUEL TYPE DE SECTEUR BANCAIRE AVONS-NOUS BESOIN ?

L’enjeu est clair : il s’agit de disposer d’un secteur bancaire assaini, stable, régulé strictement afin qu’il joue véritablement son rôle : financer la relance d’un développement économique socialement juste et écologiquement viable. Le secteur financier doit être régulé efficacement et retrouver sa fonction première : être un outil au service de l’économie et de l’intérêt général.

Jusqu’à aujourd’hui, au nom du réalisme, le courage politique est absent et les mesures prises sont plus qu’insuffisantes. La supervision centralisée des banques de la zone euro (union bancaire), la création d’un fonds européen de garantie des dépôts, l’interdiction de certaines opérations (ne touchant que 2% de l’activité bancaire globale), le plafonnement des bonus, la transparence des activités bancaires ou encore les nouvelles règles de Bâle III ne constituent que des recommandations, des promesses non tenues voire, au mieux, des décisions tellement diluées qu’elles en perdent toute efficacité avant même d’avoir été mises en place. Dans tous les cas, elles ne s’attaquent en rien aux problèmes de fonds, en particulier au poids exorbitant et à la capacité de nuisance des grandes banques.

Pourtant, la réalité est celle-ci : rassurer les marchés et se soumettre aux intérêts de la finance ne marche pas. C’est l’inverse qu’il faut faire, et vite. Faute de quoi, dans un avenir plus ou moins proche, une très grave crise des finances publiques et de la dette pourrait à nouveau survenir, avec des conséquences sociales dramatiques. Une réforme en profondeur de l’organisation et du fonctionnement du système bancaire est aujourd’hui une urgente et impérieuse nécessité économique, sociale, politique et démocratique. Il faut aller beaucoup plus loin, plus fort et plus vite.

4. NEUF MESURES URGENTES POUR REMETTRE LES BANQUES À LEUR PLACE

Des mesures simples, fortes et concrètes peuvent être prises. Certaines pourraient être mises en œuvre immédiatement, y compris à un niveau national, d’autres doivent se construire à moyen terme, et être portées de manière forte au niveau européen.

1. Interdire immédiatement certaines opérations spéculatives

Il n’y a aucune difficulté technique à interdire une série d’opérations et de produits spéculatifs comme :
La spéculation sur les titres de la dette publique, sur les monnaies ainsi que sur les aliments.
Les ventes à découvert.
Les CDs (Credit Default swaps).
Les CDO (Collateralized Debt Obligations).
Les marchés de gré à gré.
Le trading à haute fréquence, c’est à dire des opérations spéculatives réalisées automatiquement par des ordinateurs surpuissants capables de profiter à chaque millionième de seconde d’un écart de taux favorable.
Cela doit se faire absolument dans un premier temps pour les banques de dépôt. En l’absence de séparation des banques de dépôts et d’affaires, cela doit être mis en œuvre pour les banques considérées comme systémiques.

2. Séparer les banques de dépôt et les banques d’affaires

Il est nécessaire de séparer les banques de dépôt (banques dont le rôle principal est de collecter l’épargne des particuliers et d’octroyer des crédits aux ménages et entreprises) et les banques d’investissement (banques qui s’occupent de l’accès des entreprises aux marchés des capitaux). Les banques de dépôt pourraient recevoir une garantie de l’État au bénéfice des épargnants. Les banques d’investissement qui réaliseraient des investissements hasardeux et éprouveraient des difficultés ne pourraient demander l’aide des pouvoirs publics. Rappelons que cette séparation des activités bancaires fut une des premières mesures prises par le gouvernement des États- Unis après la crise de 1929 (Glass-steagall Act).

Il s’agit aussi dans ce cadre d’imposer des limites à la taille des banques. Aujourd’hui, du fait de leur taille économique et de leur dimension internationale, la défaillance d’une seule grande banque peut déstabiliser le système économique et financier d’une région entière.

3. Permettre à la Banque Centrale Européenne (BCE) de prêter directement aux Etats

Plutôt que de prêter en deux fois plus de 1.000 milliards d’euros aux banques à 1% pour que celles-ci les reprêtent éventuellement aux Etats à 3 ou 4%, la BCE doit pouvoir prêter directement aux Etats. Aujourd’hui, cela est clairement interdit par les Traités européens, en particulier par l’article 123 du Traité de Lisbonne. En effet, les banques privées empruntent à la BCE à du 0,5% pour ensuite prêter cet argent aux Etats à du 2%, 3%, 4%, 5% ou 6% aux Etats européens. Cette situation est absurde.

Sans prendre les États-Unis ou le Royaume-Uni pour modèle, loin de là, il faut souligner que la Fed (la Réserve fédérale, à savoir la banque centrale des Etats-Unis) et la Banque d’Angleterre achètent des titres de leur Etat respectif |4|. La revendication de modification du Traité pour permettre à la BCE de prêter directement aux Etats est parfaitement justifiée.

A priori, tous les Etats devraient pouvoir se financer au même taux d’intérêt, à savoir celui fixé par la BCE. Si les banques privées ne veulent pas prêter aux Etats au taux de la BCE, il faut alors que ces derniers puissent emprunter directement à la BCE. Afin d’empêcher que les Etats s’endettent de manière inconsidérée et que la BCE ne se transforme en un puits sans fond, il peut s’avérer nécessaire de déterminer des critères fixant les conditions dans lesquelles les Etats peuvent emprunter à ce taux « minimum ». Si ces critères ne sont pas respectés, le taux d’intérêt pourrait augmenter. Cependant, ils doivent absolument rompre avec la logique néolibérale. A côté de critères économiques traditionnels tels que le ratio dette/PIB, le déficit public ou encore l’inflation, d’autres devraient être également pris en compte, tels que :

le respect des droits sociaux dont le droit du travail ;
le respect des obligations européennes en matière de développement des énergies renouvelables et de réduction de CO2 ;
la lutte contre les inégalités et la corruption ;
la régulation du secteur financier.

Tous ces critères sont objectivement vérifiables et font déjà l’objet d’analyses comparatives approfondies au sein des pays de l’UE via différentes institutions telles que l’OCDE ou l’OIT. Leur intégration ne poserait donc pas de problème.
Plus fondamentalement, il est nécessaire de réformer complètement la BCE. Plutôt que d’avoir pour unique objectif de combattre l’inflation, il faut que cette institution puisse financer directement des États soucieux d’atteindre des objectifs sociaux et environnementaux qui intègrent les besoins et les droits fondamentaux des populations.

4. Interdire le Shadow Banking System |5|

Le Shadow Banking System (système bancaire de l’ombre) est un mécanisme qui permet aux banques de gérer des opérations bancaires très risquées en dehors de toute régulation publique et sans devoir inscrire ce type de transactions dans leurs comptes de bilan. Cette absence de régulation a logiquement provoqué une expansion rapide du secteur, avec un volume d’actifs représentant 60.000 milliards de dollars fin 2011.

5. Interdire aux banques d’avoir des relations avec les paradis fiscaux

Les paradis fiscaux constituent de véritables trous noirs de la finance mondiale. Selon le FMI, environ 50% des flux financiers mondiaux transitent par des paradis fiscaux. Ces derniers plombent le budget des États. Selon le réseau Tax Justice Network, ils entraînent une perte de revenus d’impôts de 255 milliards de dollars par an pour les États de la planète. La Belgique ne fait pas exception : la fraude fiscale coûte environ 20 milliards d’euros annuels aux finances publiques belges. Jusqu’à aujourd’hui, les dirigeants du G20, malgré leurs déclarations d’intention, refusent de lutter contre les paradis judiciaires et fiscaux.

Pourtant, des mesures simples et concrètes peuvent être mises en place immédiatement, tant au niveau national qu’européen. On pourrait commencer par interdire aux personnes physiques et aux entreprises privées (dont les banques) présentes sur le territoire belge de réaliser quelque transaction que ce soit avec des paradis fiscaux, sous peine d’une amende ou de poursuites pénales.

6. Lever le secret bancaire

La levée du secret bancaire doit également devenir un impératif démocratique minimal pour tous les pays. Il faut supprimer le secret bancaire fiscal et donner des moyens conséquents aux services des ministères des finances pour lutter efficacement contre la fraude fiscale.

7. Taxer les banques et l’ensemble des transactions financières

En plus de rapporter des ressources vitales au financement d’un plan de relance économiquement ambitieux et écologiquement viable, cette taxe jouerait un rôle positif en matière de stabilité financière en dégonflant fortement une série de marchés spéculatifs

8. Envisager les sauvetages bancaires d’une toute autre manière

La manière dont le sauvetage des banques a été effectué en Belgique et ailleurs est tout à fait inacceptable, car très coûteux pour les finances publiques et sans aucune poursuite contre les responsables du désastre de Fortis, de Dexia, de KBC, d’Ethias... ou contre les responsables publics de tutelle ou de contrôle (Banque nationale, Commission bancaire, ministre des Finances...). Par ailleurs, les autorités publiques de tutelle n’ont pas imposé une nouvelle discipline financière aux banquiers qui ont donc continué à prendre des risques insensés.

Il est possible de laisser des banques faire faillite, à condition de protéger l’épargne des déposants et l’investissement des petits porteurs d’actions tout en récupérant le coût de ces faillites sur le patrimoine global des grands actionnaires privés. Faire porter le poids du sauvetage sur les dirigeants et les grands actionnaires des institutions financières, plutôt que sur les citoyens belges, est une mesure réalisable, légitime et qui inciterait les financiers à se comporter de manière plus raisonnable à l’avenir, contribuant ainsi à renforcer la stabilité de l’économie.

Dans la mesure où une future faillite bancaire reste une potentialité, il faut dès à présent se préparer à donner une réponse mieux ajustée. Sans faire de « copier-coller », il est possible de se baser sur l’expérience de la gestion de la crise bancaire des pays scandinaves (Suède, Norvège, Finlande) début des années 1990. Ces pays ont montré que, sur la base de 3 principes simples (remplacement du Conseil d’administration et ouverture des livres de comptes, rachat des banques à leur valeur réelle et coût du sauvetage porté par les actionnaires plutôt que par les contribuables), il est possible de gérer une crise bancaire sans « trop » de frais. La Suède a géré sa crise bancaire en 3 ans et cela lui a coûté à peine 3% de son PIB. La Belgique en est à 8% sans avoir absolument rien réglé… |6|

9. D’une banque publique à la socialisation du secteur bancaire

Après des décennies de dérives financières et de privatisations, il est grand temps de faire passer le secteur du crédit dans le domaine public avec un véritable contrôle citoyen. Les États doivent retrouver leur capacité de contrôle et d’orientation de l’activité économique et financière. Ils doivent également disposer d’instruments pour réaliser des investissements et financer les dépenses publiques en réduisant au minimum le recours à l’emprunt auprès d’institutions privées ou/et étrangères.

Plusieurs voies doivent être envisagées avec sérieux :

Créer ou développer une banque publique. 
Que ce soit au niveau national ou régional, la Belgique devrait se doter d’une banque publique qui, tout en garantissant la stabilité de l’épargne, offre aux clients les services classiques d’une banque et qui constitue un appui financier pour des investissements productifs socialement utiles et écologiquement viables.

Créer ou développer un pôle bancaire public. 
En compétition avec une finance mondiale globalisée, une banque publique risque de ne pas « tenir le coup ». Par conséquent, il serait utile d’aller plus loin en mettant sur pied un pôle bancaire public capable de concurrencer efficacement le secteur bancaire privé. Nationaliser, avec ou sans indemnisation, les banques défaillantes et celles qui ont été sauvées avec les deniers publics pour les transférer au secteur public sous contrôle citoyen pourrait constituer des étapes importantes vers la création de ce pôle bancaire privé.

Socialiser l’ensemble du secteur de la banque et de l’assurance |7|. 
Les banques doivent redevenir des outils au service de la collectivité. La monnaie, le crédit, l’épargne, les systèmes de paiement, éléments fondamentaux d’une économie, devraient être considérés comme des biens publics communs. Par conséquent, le système bancaire devrait être socialisé, c’est-à-dire placé sous contrôle citoyen avec un partage de décision entre les dirigeants, les élus locaux ainsi que les représentants des salariés, des clients, des associations et des instances bancaires nationales et régionales. Le programme du Conseil national de la Résistance de 1944 (CNR) déclarait : « L’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, implique l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie, … , et le retour à la Nation des grands moyens de production monopolisés, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques ». De la manière, la déclaration de principes de la FGTB de 1945 estime que « la socialisation des grands trusts bancaires et industriels s’impose ». Cette revendication n’est donc pas nouvelle. Elle reste plus que jamais d’actualité. Les métiers de la banque et de l’assurance sont bien trop importants que pour les laisser dans les mains des banquiers privés.

Notes

|1| L’Echo, 19 juin 2013

|2| Le Monde , Le retour de produits à l’origine de la crise sur les marchés, 11.06.2013

|3| Pour plus d’infos, lire TOUSSAINT Eric, “Les banques bluffent en toute légalité”,http://cadtm.org/Les-banques-bluffe...

|4| En septembre 2011, la Fed détenait pour un peu plus de 1.700 milliards de dollars de titres de la dette publique (Treasury bonds) achetés au Trésor.

|5| Pour plus d’infos, lire MUNEVAR Daniel, " Les risques du système bancaire de l’ombre »,http://cadtm.org/Les-risques-du-sys...

|6| Pour plus d’infos, lire DUPRET Xavier, “Et si nous laissions les banques faire faillite ? »,http://www.gresea.be/spip.php?artic...

|7| Pour plus d’infos, lire SAURIN Patrick , “Socialiser le secteur bancaire”,http://cadtm.org/Socialiser-le-syst...

Olivier Bonfond est économiste, conseiller au CEPAG et auteur du livre “Et si on arrêtait de payer ? 10 questions/réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité. Editions Aden. Juin 2012 (http://cadtm.org/Et-si-on-arretait-...)


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