jeudi 22 juin 2017

D'après l'Insee, le code du travail n’est pas (du tout) le principal frein à l’embauche



21 JUIN 2017 PAR MANUEL JARDINAUD

La note de conjoncture de l'Insee révèle, grâce à une enquête auprès de chefs d'entreprise, que les difficultés pour recruter sont très peu liées à la législation du travail. C'est-à-dire l'inverse de ce que le gouvernement affirme avec sa réforme du code du travail.

« Il y a un très lourd droit du travail en France. Il y a aussi un très grand nombre de chômeurs. On ne peut pas ne rien faire. Le président de la République a indiqué pendant sa campagne qu’il entendait moderniser le droit du travail. » Le 15 mai, sur TF1, le premier ministre Édouard Philippe rappelait cette évidence, à ses yeux : pour relancer l’emploi, il convient en urgence de modifier le code du travail. Depuis, le mouvement est bel et bien lancé. La séquence s’achèvera, après consultation des partenaires sociaux, en octobre, avec l’adoption par l'Assemblée nationale des ordonnances réformant ce code du travail si entravant pour l’activité des entreprises.

Malchance, à cette époque, Édouard Philippe n’avait pas lu la note de conjoncture de l’Insee avec, en particulier, le focus intitulé « Que nous disent les entreprises sur les barrières à l’embauche ? ». Et pour cause, le document a été rendu public le 20 juin par l’institut statistique. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire… Que dit cette note fort instructive ? D’abord, que les deux principaux freins à l’embauche sont l’incertitude économique pour 28 % des entreprises et la difficulté à trouver une main-d’œuvre compétente pour 27 % d’entre elles. Loin, loin devant la réglementation du marché de l’emploi, que seuls 18 % des employeurs considèrent comme une barrière pour recruter. Celle-ci est même moins importante aux yeux des entrepreneurs que le coût du travail (23 %), où le niveau potentiellement élevé des salaires n’est quasiment pas mentionné (7 %). Une pierre dans le jardin des partisans de la modération salariale.

Alors ? Alors, rien. Ou plutôt, si : le code du travail, ce sacré pavé rouge qui fait si peur à l’économie française, n’est pas la cause du chômage. L’Insee le démontre. Le réformer dans un sens plus libéral et le rendre plus « flexible » pour « libérer les énergies » ne permettra pas d’embaucher plus. Ce ne sont pas des politiques qui le disent, ce ne sont pas des syndicalistes qui le clament, ce sont les patrons qui le reconnaissent.

Dans le détail, la note de l’Insee est une mine d’information pour le gouvernement s'il veut renoncer à sa réforme. D’abord parce que c’est principalement le secteur du bâtiment qui rencontre des difficultés pour recruter, à 73 % contre 52 % pour l’industrie et 43 % pour les services. Regarder de plus près la pénibilité, les conditions de travail et le niveau des salaires dans les entreprises de la construction serait certainement une riche idée pour inverser la tendance. Peut-être la ministre du travail peut-elle même se plonger dans l’enquête Sumer sur les risques professionnels (la dernière date de 2014), qui indique que plus de 70 % des ouvriers du secteur sont exposés à une contrainte physique. Mais cela n’a certainement rien à voir avec la difficulté des patrons à trouver de la main-d’œuvre motivée…

L’Insee met au jour une autre donnée essentielle. Elle indique que « les barrières à l’embauche liées à la législation encadrant le marché du travail semblent jouer des rôles importants comparables, les risques juridiques liés à un licenciement (14 %) étant légèrement plus souvent cités que leur coût (10 %) ». Pour bien comprendre : seulement 10 % des entreprises considèrent le coût du licenciement comme un frein pour recruter convenablement. Impossible de s’empêcher alors de s’interroger sur la pertinence et l’efficacité d’un barème obligatoire imposé aux juges prud’homaux concernant les dommages et intérêts en cas de licenciement abusif puisque, finalement, cela n’a rien à voir avec l’emploi.

Une phrase du document de l’Insee est particulièrement savoureuse dans le contexte actuel où, du patron du Medef au président de la République en passant par certains chroniqueurs économiques, le code du travail est devenu la cause de tous les maux : « Les entreprises qui ont du mal à recruter de la main-d’œuvre compétente ne citent pas particulièrement des barrières de coût ou de réglementation [...]. » À ce stade de limpidité, l’explication de texte ne se révèle plus nécessaire. Encore faut-il que cette affirmation atteigne les perrons de l’Élysée et de Matignon…

Consulter le document de l'Insee

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